La littérature moderne d’Afrique noire se situe au confluent de divers courants: ses propres traditions locales et diverses; l’impact des mondes islamiques et arabes; l’influence omniprésente du colonialisme européen et du christianisme. Les Africains se sont montrés particulièrement prolifiques depuis la Seconde Guerre mondiale; utilisant le français, l’anglais, le portugais et plus de quarante langues africaines, ils ont composé de la poésie, de la fiction, du théâtre, et inventé des formes d’écriture pour lesquelles il n’existe pas de descriptif dans le monde littéraire européen. Leurs œuvres dressent le portrait de la réalité politique et sociale moderne, et s’attachent aux systèmes de valeurs, qu’ils soient ou non africains. Dans le même temps, leurs écrits sont fondés sur les traditions indigènes et des visions du monde typiquement africaines.

Bien avant l’arrivée des Européens, avant même le développement de l’écriture, les peuples de l’Afrique sub-saharienne ont exprimé de façon artistique leurs pensées, leurs sentiments et leurs préoccupations les plus profonds, sous la forme de mythes, de légendes, d’allégories, de paraboles et de contes, de chants et de mélopées, de poèmes, de proverbes, de devinettes et de théâtre. Certaines formes traditionnelles de la littérature orale ont survécu jusqu’à nos jours, tandis que des formes nouvelles ne cessent d’apparaître. Elles expriment aussi bien des thèmes contemporains que des thèmes du passé. Leurs styles sont influencés par le monde extérieur, comme par les différentes cultures présentes en Afrique. Elles se sont adaptées aux influences modernes, et influencent elles-mêmes les différents modes d’écriture contemporains. Les littératures traditionnelles fournissent la trame des nouvelles structures, des nouvelles techniques et des nouveaux styles qui transcendent les modèles littéraires figés imposés par l’Europe.

La tradition orale

La tradition orale est un témoignage qu’une génération transmet à la suivante, ce qui comprend non seulement ce que l’on raconte des événements du passé, mais aussi toute une littérature orale où l’imagination a sa part. Il ne faut pas envisager l’oralité comme l’absence d’écriture, ce qui serait la définir de façon négative, par un manque; en réalité, la tradition africaine de littérature orale est aussi riche en contenu et en variété que celle de n’importe quelle autre sphère culturelle qui utilise l’écriture.

Cependant, son étude fait l’objet d’une méthodologie différente qui doit s’accommoder de la forme même de la transmission des traditions, mythes, contes, etc. Cette tradition est moins connue du monde occidental que l’art africain, car elle a été peu étudiée et n’a pas connu les mêmes formes de diffusion. Les récits en prose – mythes, légendes, contes folkloriques, anecdotes et plaisanteries – sont les formes de littérature orale qui ont fait l’objet de la plus vaste collecte, mais on trouve dans la société africaine d’autres formes d’expression, tout aussi importantes. Ce sont les proverbes, les devinettes, les textes de chanson et de drames, la poésie, les noms faisant l’éloge des individus (titres honorifiques), et les phrases très difficiles à prononcer. Ces formes à la base homogène sont remarquablement vivaces, même auprès des habitants des villes malgré les rapides évolutions culturelles que connaissent les zones urbaines. De fait, certains gouvernements se sont appuyés sur la littérature traditionnelle pour promouvoir des idées d’identité et de solidarité nationalistes. L’influence de l’héritage oral se fait nettement ressentir dans les thèmes, le style, et l’esprit des œuvres de nombreux écrivains contemporains.

Mythes et légendes

On a estimé qu’il existait en Afrique plus de deux cent cinquante mille mythes, légendes et contes populaires. Dans la plupart des récits en prose, on remarque le même genre – des intrigues – et le même contenu – péripéties, personnages et objets – que ceux que l’on retrouve dans d’autres sphères culturelles de l’Ancien Monde, unité résultant du brassage des cultures. Pourtant, chaque société africaine a modelé ces éléments au sein de sa propre littérature, en fonction de ses propres modes de pensée, comme le dit un initié peul: «Le savoir est connaissance de l’homme, mais aussi de tout ce qui n’est pas l’homme, car il lui a été donné de connaître ce qui n’était pas lui» (Amadou Hampaté Bâ, Koumen).

Parmi les plus célèbres mythes transcrits par des ethnologues figurent les mythes dogons; dans leur ouvrage le Renard pâle, Marcel Griaule et Germaine Dieterlen définissent ainsi les mythes: des «explications indigènes des manifestations de la nature (anthropologie, botanique, zoologie, géologie, astronomie, anatomie et physiologie) comme des faits sociaux (structures sociales, religieuses et politiques, techniques, arts, économie, etc.)». Les mythes et les légendes sont donc rarement différenciés de l’Histoire dans les classifications indigènes, mais considérés au contraire comme de vrais récits historiques que l’on distingue des contes populaires, supposés fictifs. Les contes magiques mettant en scène des animaux comme la tortue, le lièvre, le lapin, le chevreau ou l’araignée sont les plus connus des récits africains.

Dans les récits magiques mettant en scène des hommes et des dieux, on trouve principalement des rois et des roturiers, des jumeaux, des chasseurs, des ogres, et le «petit peuple».

Proverbes, devinettes et contes

Les proverbes sont souvent employés pour renforcer des arguments, et pour enrichir la conversation. Les utiliser avec habileté est, dans les sociétés africaines, un signe d’érudition et d’élégance dans l’expression. De nombreux proverbes sont très subtils, et ne peuvent être compris que par les auditeurs familiarisés avec la culture de celui qui les énonce; aussi, l’étude des proverbes offre-t-elle une vision précise des valeurs de base d’un groupe culturel.

Les devinettes ont été beaucoup moins étudiées que les proverbes, car elles sont principalement utilisées par les enfants. Elles sont plutôt formulées comme des assertions que comme des questions, et la relation entre l’interrogation et la réponse peut être subtile au point de nécessiter une connaissance approfondie de la matrice culturelle. On rencontre aussi des devinettes d’intonation (assertions reliées entre elles uniquement par la similarité de l’intonation), ou des devinettes-proverbes (adages liés par le sens, mais qui peuvent être utilisés indépendamment). Parfois les devinettes ne sont pas destinées à surprendre l’auditoire, mais à établir une sorte de dialogue social, dans lequel les réponses sont connues de tous, et proférées à l’unisson. Dans la plupart des sociétés africaines, la plupart des membres du groupe connaissent les devinettes.

Le conte, élevé en Afrique au rang des beaux-arts, peut, dans certaines sociétés, être rapporté par des conteurs professionnels. Les contes populaires sont généralement racontés le soir durant la saison sèche, et l’interaction entre le narrateur et l’auditoire atteint souvent des sommets d’intensité dramatique. Le bon conteur est un acteur consommé, utilisant ses mains, sa voix et son corps pour renforcer ses effets, quand il mime les tours du magicien, ou la traque du chasseur. Les devinettes précèdent souvent la narration, et le conte est ponctué de musique et de chants, avec la participation du public. L’auditoire peut répondre à une question du narrateur, ou faire office de chœur en accompagnant les chansons en solo. Au fur et à mesure du déroulement de l’histoire, le public peut manifester son approbation ou critiquer le narrateur s’il juge sa performance insatisfaisante.

Fonctions de la tradition orale

Les différentes formes de littérature orale remplissent plusieurs fonctions dans la société africaine. Sources de distraction, elles ont également une valeur éducative pour les jeunes, diffusent les rituels et les croyances, encouragent la conformité aux normes culturelles, et apportent un soulagement psychologique dans un cadre institutionnalisé. Souvent, une consigne de bonne éducation est ajoutée à la fin des contes racontés aux enfants, pour insister sur ses implications morales. Les devinettes servent à dégourdir l’esprit des jeunes gens, tout comme les énigmes dont on ignore la réponse, qui ont la même fonction auprès de leurs aînés. Les mythes font autorité en matière de croyance surnaturelle et de pratique rituelle, et servent à justifier la propriété terrienne, la position sociale et l’autorité politique. Les proverbes peuvent être utilisés dans la conversation courante pour guider, encourager, complimenter, admonester ou désapprouver. Ils sont parfois cités dans les tribunaux comme précédents dans le déroulement d’une plaidoirie, ou utilisés comme artifices rhétoriques pour impressionner les juges. Des associations de théâtre chez les peuples parlant la langue ibibio (sud-est du Nigeria) utilisent des pièces satiriques jouées par des humains et des marionnettes pour exercer une pression sociale sur des personnes ou des groupes ne parvenant pas à se conformer aux préceptes culturels.

Enfin, les distorsions de la réalité culturelle présentes dans les contes peuvent symboliser l’accomplissement d’un désir. Les personnages des contes agissent souvent comme les gens souhaiteraient le faire s’ils n’en étaient empêchés par les limitations sociales. Ainsi, le conte joue également un rôle de catharsis.

La littérature écrite

Les courants de la littérature écrite, comme ceux de la littérature orale, remontent loin dans le passé. Antar (Antara ibn Shaddad al-Absi), un guerrier-poète afro-arabe mort en 615, avant l’avènement de l’islam, est au centre d’un célèbre récit épique intitulé le Roman d’Antar, 10 volumes, 1865-1877; Antar, le roman d’un bédouin, 4 volumes, 1819-1820 (un tiers de traduction intégrale). Certaines parties de ce prototype de roman de chevalerie arabe ont été écrites par Antar lui-même. Ses narrateurs ont créé leur propre style et ont été baptisés «antaristes» antariyya. Certains des vers d’Antar et d’autres poèmes du long Roman font référence à ses origines africaines, et c’est la première œuvre classique dans laquelle on trouve trace de préjugés liés à la couleur de la peau. Le poète noir Abu Dulama ibn al-Jaun, mort en 777, composa des vers plein d’esprit pour la cour abbasside de Bagdad. Ziryab (Abul Hasan Ali ibn Nafi), un Afro-Persan connu sous le nom de «Rossignol noir», se rendit en 822 en Espagne, où il contribua de façon considérable à l’évolution de la poésie, de la musique et du chant en Andalousie.

Tous ces poètes étaient nés esclaves. D’autres écrivains africains déracinés se firent connaître dans différentes parties de l’Europe, et plus tard aux Amériques. Parmi eux, citons Juan Latino (né en Guinée), qui écrivait en latin, et Afonso Alvares, le premier à écrire dans une langue européenne (le portugais). L’expérience de l’esclavage puis de l’affranchissement a inspiré ce qui est sans doute le premier récit d’exil africain composé dans une langue européenne: The Interesting Narrative of the Life of Olaudah Equiano or Gustavus Vassa the African, Written by Himself (1789). Dans cette autobiographie, Equiano décrit son enfance au Nigeria, son enlèvement, sa vie d’esclave dans le Sud américain et dans les Caraïbes, et enfin sa vie d’homme libre en Grande-Bretagne.

Les premières traces de littérature écrite en Afrique remontent au XVIIIe siècle, avec un manuscrit en swahili Ubendi wa Tambuka («le poème épique de Tambuka»), daté de 1728.

Au XIXe siècle, on compte la poésie de Joaquim Dias Cordeiro da Matta (Angola) et de Caetano da Costa Alegre (São Tomé), ainsi que diverses œuvres en xhosa d’Africains du Sud: poèmes et récits autobiographiques et de fiction de Samuel E. K. Mqhayi; poèmes et hymnes de Kobe Ntsikana; poésie didactique de William W. Gqoba; écrits contestataires de Hadi Waseluhlangani qu’on appelait «la Harpe du peuple».

Les pionniers du XXe siècle

Parmi les auteurs pionniers de la littérature noire africaine moderne d’avant 1945 se détachent quatre figures, dont trois s’expriment dans des langues africaines.

Le premier romancier moderne du continent à atteindre une reconnaissance internationale, Thomas Mofolo (Afrique du Sud), a écrit trois importants ouvrages de fiction en sotho du sud: Moeti oa bochabela (1907, le Voyageur de l’Est, 1934), récit allégorique de la vie africaine dans l’ancien temps et de la conversion des Africains au christianisme; Pitseng (1910), une histoire d’amour dans un village relatant l’éducation et la cour amoureuse de deux jeunes gens; et le plus célèbre des trois,Chaka (1925), une biographie romancée de la grande figure héroïque de l’histoire zouloue, parue pour la première fois en 1925, traduite ensuite dans de nombreuses langues européennes. Dans les trois romans, on retrouve l’expression de la culture chrétienne de Mofolo, mais également la révélation d’une identification profonde avec son propre peuple et ses traditions culturelles.

Jean-Joseph Rabéarivelo (Madagascar) offre un tragique exemple de l’impact du colonialisme sur un esprit imaginatif et impressionnable. Rabéarivelo apprend le français en autodidacte, et rêve de rencontrer les poètes français qu’il admire de loin. Son pays devient pour lui une prison physique, morale et intellectuelle, ce qui le conduira au désespoir, puis au suicide. Bien qu’il tire son inspiration des poètes de France, il intègre dans son œuvre la qualité de la forme poétique orale malgache «hain-teny», et développe la technique de la métaphore filée. Sa poésie devient le substitut de la liberté qu’il est persuadé ne jamais devoir connaître. L’essentiel de son œuvre se compose de quatre volumes: Sylves (1927), Volumes (1928), Presquesonges (1924, publié en 1934), et Traduit de la nuit (1935).

Robert Shaaban (Tanzanie), est le premier écrivain africain en swahili à aborder des genres différents, inspirés autant de modèles anglais qu’africains. C’est un maître en techniques traditionnelles, mais il écrit plus pour être lu que pour être chanté. Shaaban est le premier à militer pour la reconnaissance du swahili comme langue principale de toute l’Afrique de l’Est, et il écrit des nouvelles et des poèmes pour un public qui, comme lui, n’a pas suivi d’enseignement supérieur. Ses essais, traitant de sujets très divers, sont rassemblés dans Kielezo cha Insha (1954, «essais modèles»), et ses autres œuvres dans une série de volumes intitulés Diwani ya Shaaban (à partir de 1959).

La fiction moderne en prose en yorouba connaît ses véritables débuts en 1939, quand Olorunfemi Fagunwa (Nigeria) écrit Ogboju Ode Ninu Igbo Irunmale, traduit par Wole Soyinka sous le titre The Forest of a Thousand Daemons (1968). Un vieux chasseur y raconte ses aventures dans la forêt vierge.

Beaucoup de ses récits sont des contes populaires, illustrant les croyances yorouba en matière d’esprits, de fantômes, et des choses étranges qui peuvent arriver dans la forêt. En même temps, le livre dépeint les problèmes ordinaires de la vie quotidienne dans les foyers traditionnels, le tout ponctué de réflexions morales ou éthiques. Les trois romans suivants de Fagunwa – Igbo Olodumare (1946, «la forêt du Seigneur»), Ireke-Onibudo (1948, «le bâton du garde»), et Irinkerindo Ninu Igbo Elegbeje: Apa Keta Olodumare (1954, «aventures dans la forêt d’Elegbeje») – sont tous l’histoire d’une quête. Sa dernière œuvre, Adiitu Olodumare (1961, «le secret de Dieu»), est plus réaliste. Fagunwa a montré comment les bases de la culture populaire pouvaient être intégrées à la fiction moderne. Ce faisant, il a su convaincre les Yoroubas instruits de la valeur de leur héritage traditionnel, et a exercé une influence importante sur d’autres écrivains nigerians.

La fiction moderne

Suivant la trace de Fagunwa, et utilisant fréquemment les mêmes éléments, Amos Tutuola (Nigeria) est l’auteur de six œuvres de fiction en anglais qui ont retenu l’attention au niveau international: l’Ivrogne dans la brousse (1952, traduit en français par Raymond Queneau, titre original The Palm Wine Drinkard); My Life in the Bush of Ghosts (1954, «ma vie dans la brousse des fantômes») ; Simbi et le satyre de la jungle noire (1955, Simbi and the Satyr of the Dark Jungle); The Brave African Huntress (1958, «la vaillante chasseresse africaine») ; The Feather Woman of the Jungle (1962, «la femme-plume») ; Ajayi and His Inherited Poverty (1967, «comment Ajaiyi reçut la pauvreté en héritage»). Tous ces récits sont des quêtes mystiques, des romans qui exploitent des contes et légendes yoroubas, dans un anglais qui ressemble à l’idiome populaire, mais qui utilise abondamment les références modernes – les rayons X, les fils électriques, le klaxon, et «le fantôme dont les mains sont des téléviseurs».La parution en 1958 de Le monde s’effondre (Things fall apart), de Chinua Achebe, marque l’essor du roman moderne d’Afrique noire en anglais. Achebe a mis dans sa fiction tout le monde africain, et son style doit beaucoup à la tradition orale en dialecte, à l’usage des proverbes, au rythme et à la teneur de la parole. Le monde s’effondre raconte l’histoire du désarroi d’une petite communauté du Nigeria, jusque-là soudée et bien organisée, au moment où les premiers missionnaires et les fonctionnaires coloniaux persuadent certains autochtones d’abandonner leurs croyances traditionnelles. Le Malaise (1960, No longer at Ease) est une suite, centrée sur un jeune homme pétri d’aspirations européennes, qui revient dans son village après avoir fait des études en Angleterre. La Flèche de Dieu (1964, Arrow of God) montre le christianisme comme une force de division dans la société africaine. La lutte entre les dieux a été complètement resituée dans l’arène politique.

Dans les années 1960, les écrivains de fiction d’expression anglaise tournent leur attention vers des problèmes plus contemporains. Dans le Démagogue (1966, A Man of the People), Achebe utilise la satire pour critiquer le gouvernement corrompu et la politique d’appareil. Le roman les Interprètes (1965, The Interpreters), de Wole Soyinka (Nigeria), offre une vue kaléidoscopique de la vie urbaine en Afrique, par l’intermédiaire des mésaventures simultanées de cinq différents «héros». Saison d’anomie (1973, A Season of Anomy) est une allégorie illustrant les expériences du Nigeria sous des gouvernements civils et militaires autoritaires. Les romans de Ayi Kwei Armah (Ghana) – Deux mille saisons (1973-1974, Two Thousand Seasons), Fragments (1970), et L’âge d’or n’est pas pour demain (1969, The Beautiful Ones Are Not Yet Born) – offrent une reconstruction et une évaluation visionnaire du passé, et simultanément, une vision très réaliste de la corruption et du déclin moral de l’Afrique indépendante. Le roman allégorique This Earth, My Brother… (1971), de

Kofi Awoonor (Ghana), décrit la dépression mentale d’un jeune homme au milieu de la confusion morale ambiante.

La fiction noire africaine d’expression française insiste sur la lutte contre le colonialisme, la recherche d’identité et le combat contre la tyrannie après l’indépendance. Mongo Beti (Cameroun) a tenté de détruire les prétendants à la supériorité politique, culturelle et spirituelle. Ses nouvelles font exploser à la fois les mythes chrétiens et coloniaux. Ville cruelle (1954) décrit la vie de paysans africains dans une exploitation de bois appartenant à des Européens. Le Pauvre Christ de Bomba (1956), Mission terminée (1957), et le Roi miraculé: Chronique des Essazam (1958) sont des études satiriques des absurdités et de la cruauté de la loi coloniale.

Remember Ruben (1974, le titre est en anglais) et Perpétue (1974) traitent de la lutte juste avant l’indépendance, et de l’impact de la loi autoritaire sur les individus. La Ruine presque cocasse d’un polichinelle (1979) reprend les mêmes thèmes, mais se déroule pendant l’indépendance.

Le style de Ferdinand Oyono (Cameroun), d’un réalisme voulu, agrémenté d’un humour mordant et d’un don d’observation sans pitié, domine ses principaux romans, Une vie de boy (1956), le Vieux Nègre et la Médaille (1956), et Chemins d’Europe (1960). La reconstitution pleine d’imagination d’une vision du monde et d’une réalité authentiquement africaines imprègne l’œuvre de Camara Laye (Guinée), que ce soit dans l’autobiographie émouvante et pleine de poésie intitulée l’Enfant noir (1953), ou dans le Regard du roi (1954), une allégorie complexe de l’interaction entre les valeurs africaines et européennes.

Ousmane Sembène (Sénégal) a connu une renommée internationale à la fois en tant que réalisateur de films, et en tant que romancier. Ses romans le Docker noir (1956), Ô pays, mon beau peuple! (1957), les Bouts de bois de Dieu (1960), l’Harmattan (1964), et le Dernier de l’empire (1981) sont conçus comme des épopées combinant la ferveur révolutionnaire et une vision particulièrement humaniste, allant bien au-delà du récit réaliste dans la description des forces et des faiblesses de l’être humain, de l’héroïsme et de la solidarité communautaire.

Ngugi wa Thiong’o (Kenya) est devenu le principal romancier moderne de l’Afrique orientale. Ses trois premiers livres décrivent des Africains sous la férule coloniale. Enfant, ne pleure pas (1964, Weep not, Child) est une histoire de pauvreté et de souffrance durant la guerre d’indépendance de son pays. La Rivière de vie (1965, The River Between) se déroule durant la fondation du Mouvement kikuyu pour les écoles indépendantes, tentative d’offrir une alternative à l’enseignement missionnaire. Et le blé jaillira (1967, A Grain of Wheat) est un récit compliqué et fort de trahison et de souffrance dans les soubresauts de l’indépendance. Les thèmes centraux de Ngugi sont le pouvoir politique et le mouvement de l’Histoire, tandis que la terre reste son principal symbole. Pétales de sang (1977, Petals of Blood) et Caitaani Mutharabaini (1980, écrit en kikuyu et traduit sous le titre le Diable sur la croix), sont des critiques virulentes du Kenya indépendant.

Le roman de l’écrivain soudanais al-Tayyib Sâlih, Mawsim al-hijra ilâ al-shimâl(1966, la Saison de la migration vers le nord) s’inspire dans sa forme du récit à la première personne dans le style de Conrad, dont il propose une interversion mimétique intéressante. Le roman part du cœur de l’Europe pour retourner au village natal du narrateur.

L’Afrique du Sud est riche de fiction en langues africaines, avec notamment les œuvres de A. C. Jordan et de Jordan K. Ngubane. Le roman de A. C. Jordan, Inggoubo yeminyaya (1940, «la colère des esprits ancestraux»), est devenu un classique de la fiction moderne xhosa. Celui de Ngubane, Uvalo Lwezinhlonzi (1957, «d’un regard, il provoquait la terreur»), écrit en zoulou, fut suivi de Ushamba: The Hurtle to Blood River, écrit en anglais (1974, édition révisée en 1979), ouvrage interdit en Afrique du Sud.

Le premier roman d’un écrivain noir d’Afrique du Sud à connaître un succès international fut Mine Boy (1946), de Peter Abrahams. Parmi ses œuvres, écrites pour la plupart alors qu’il vivait au Ghana, en Grande-Bretagne ou à la Jamaïque, on compte également Rouge est le sang des Noirs (1946), A Wreath for Udomo (1956), Wild Conquest (1950), le Sentier du tonnerre (1948, The Path of Thunder), et les deux romans autobiographiques Je ne suis pas un homme libre (1954, Tell Freedom), et Return to Goli (1953).

Les courts romans d’Alex La Guma offrent une peinture intense des réalités particulières de la vie en Afrique du Sud sous le régime de l’apartheid, mais vont bien au-delà des limites du naturalisme en plongeant un regard profond et dérangeant au cœur de l’humanité. A Walk in the Night (1962) et And a Threefold Cord (1964) décrivent la vie dans le ghetto du Cap. The Stone Country (1967) est inspiré de manière très réaliste de la propre expérience de La Guma en prison. In the Fog of the Season’s End (1972) a pour sujet la lutte activiste en Afrique du Sud, et Time of the Butcherbird (1979) traite de la ségrégation géographique et du déplacement forcé des populations noires vers les «homelands». Bessie Head, également sud-africaine de naissance, a passé pratiquement toute sa vie au Botswana; les thèmes de l’exil et de l’éloignement sont au centre de ses romans When Rainclouds Gather (1969), Maru (1971) et A Question of Power (1974). Le Zimbabwéen Dambudzo Marechera, mort du sida en 1987, trace une violente critique de la misère dans la Maison de la faim (1999, The House of hunger).

Es’kia Mphahlele est le plus célèbre des écrivains noirs d’expression anglaise d’Afrique du Sud. Son roman, Down Second Avenue (1959) est un chef-d’œuvre autobiographique, et il a été suivi d’un second ouvrage du même genre, Afrika My Music: An Autobiography, 1957-83 (1984). Mphahlele a également écrit des essais de critique littéraire: Voices in the Whirlwind (1972), et The African Image (1962, édition revue en 1974), et a traité le thème de l’exil dans deux romans: The Wanderers (1971) largement inspiré de son propre exil; Chirundu (1980), situé en Zambie, qui évoque le destin de deux Noirs exilés d’Afrique du Sud, dont l’un conclura que connaître à nouveau la détention et la torture est encore préférable à l’exil loin de son pays.

La nouvelle est une forme littéraire qui a fourni une riche moisson à l’Afrique du Sud. Celles de Mphahlele ont été rassemblées dans les recueils Man Must Live, and Other Stories (1947), et The Living and The Dead (1961). Nat Nakasa, Can Themba, Arthur Maimane, Bloke Modisane, Richard Rive, et Alex La Guma, ont entre autres, eux aussi produits des petits chefs-d’œuvre de ce genre.

D’expression portugaise, Bernardo Honwana du Mozambique s’est fait connaître lui aussi pour ses nouvelles. En Angola, José Luandino Vieira, s’est fait remarquer avec Luuanda (1964), trois longs contes qui restituent le langage et la vie des habitants pauvres des villes, tandis que Manuel Rui, dans le Porc épique (1999, Quem me dera ser onda) critique avec férocité la bureaucratie durant l’ère socialiste, dans une satire de laquelle ne sont pas exclues la tendresse et la réflexion philosophique.

La poésie moderne

La poésie africaine d’expression française est née en dehors du continent, parmi des auteurs qui ont tenté de redécouvrir leur identité africaine, de réaffirmer un sens perdu de la dignité, et de proclamer l’héritage de l’histoire et de la culture africaines aux yeux du monde dominé par l’Europe qui niait son existence. Dans son célèbre Cahier d’un retour au pays natal (1939), c’est le poète antillais Aimé Césaire qui a donné le nom de négritude, à cette affirmation de l’identité africaine.

Pour Leopold Sédar Senghor (Sénégal), le concept devient un thème à la fois esthétique et mystique; dans son essai l’Esthétique négro-africaine (1956), il tente de définir la négritude, qu’il a

illustrée dans son Anthologie de la nouvelle poésie noire et malgache de langue française (1948). Cette anthologie ainsi que ses propres recueils de poèmes Chants d’ombre (1945), Éthiopiques (1956), et Nocturnes (1961) ont fait de lui le chantre de cette négritude que l’on retrouve dans les poèmes de trois autres Africains de l’ouest:

Birago Diop, David Diop et Bernard Dadié. Le poème Souffles (1947), de Birago Diop, est souvent cité comme exemple de ce mouvement littéraire. Tchicaya U Tam’si (Congo), entremêle les influences du surréalisme, de Césaire, du symbolisme français, de l’imagerie catholique romaine, du paysage congolais et de l’angoisse de l’exil dans cinq puissants recueils de poésie – Feu de brousse (1957), À triche-cœur (1958), Épitomé: les mots de tête pour le sommaire d’une passion (1962), le Ventre (1964), et l’Arc musical (1969).

La poésie africaine d’expression anglaise traite de thèmes similaires. On y trouve souvent en plus un certain sens de l’humour, parfois amer et sardonique, parfois chaleureux et réellement comique.

Christopher Okigbo (Nigeria) semble échapper à l’aliénation et à la frustration des générations précédentes. Ses œuvres les plus connues, Heavensgate (en quatre parties, 1962), et Limits (1964), ont pour thèmes le supplice, l’angoisse, et la purification.

Deux recueils, Idanre (1967), Idanre and Other Poems (1967), et A Shuttle in the Crypt (1942), ont fait de Wole Soyinka un des plus importants poète nigerian. The House by the Sea (1978), ouvrage marquant de Kofi Awoonor, comprend une série de poèmes puissants écrits durant l’année où il a été emprisonné par un gouvernement militaire.

La poésie sud-africaine d’expression anglaise déborde de la passion de la contestation et du caractère poignant de l’exil. Dennis Brutus a publié différents recueils – Sirens, Knuckles and Boots (1963), Letters to Martha and Other Poems from a South African Prison (1968), Thoughts from Abroad (1970), A Simple Lust (1973), Strains (1975; édition révisée en 1982), et Stubborn Hope (1978) – qui évoquent l’emprisonnement, la révolution, la libération, et l’expérience de l’exil. Arthur Nortje, décrit par Brutus comme «peut-être le meilleur poète sud-africain de notre temps», a subi l’exil forcé et s’est donné la mort en 1970; ses poèmes sont rassemblés sous le titre de Dead Roots (1973). À l’instar de Brutus, d’autres poètes importants ont quitté l’Afrique du Sud pour écrire depuis leur lieu d’exil: parmi les œuvres de Mongane Serote, on trouve un important recueil de poésie, Tsetlo (1975), et un roman, To Every Birth its Blood (1981); parmi celles de Keorapetse Kgositsile, on remarque les poèmes rassemblés dans Spirits Unchained (1969), For Melba (1970), My Name is Afrika (1971), The Present Is a Dangerous Place to Live (1974), et Herzspuren (publié en Allemagne en 1980); Mazisi Kunene, poète et érudit de la littérature zouloue, s’exprimant en zoulou et en anglais, a tenté dans deux poèmes épiques de grande envergure – Emperor Shaka the Great (1979) et Anthem of the Decades (1981) – de restituer l’esprit, la substance, et les techniques de la tradition orale zouloue.Le nombre de poètes africains lusophones a considérablement augmenté au cours du XXe siècle. Parmi les plus célèbres dans les années précédant la Seconde Guerre mondiale, citons Eugenio Tavares et Jorge Barbosa, tous deux originaires du CapVert, le poète et folkloriste aveugle Oscar Ribas, de l’Angola, Rui de Noronha, du Mozambique, et Francisco José Tenreiro, de São Tomé.

Le passage à la période moderne s’effectue à travers l’œuvre de Mario da Andrade (Angola), pas seulement par le biais de sa propre poésie, mais par celui de son anthologie riche et originale, Literatura africana de expressão portuguesa (1967-1968). Parmi les poètes contemporains, on distingue Agostinho Neto (le premier président de l’Angola), Valente Malangantana et José Craveirinha, du Mozambique, ainsi que l’Angolais Antonio Cardoso.

Le théâtre

Bien que l’art dramatique soit un genre florissant dans l’Afrique d’aujourd’hui, le théâtre sous forme de textes littéraires édités reste rare. Du point de vue de la culture africaine, les deux éléments ne sont pas contradictoires. Le théâtre est l’un des arts du spectacle les plus complexes et multidisciplinaires, et son développement remonte fort loin dans les traditions de l’Afrique noire. Le ntsomi était une forme d’expression xhosa, comme l’étaient les mascarades du Nigeria. La pièce zouloue Umxakazawakogingqwayo a été transcrite d’après une représentation orale de la fin du XIXe siècle. Le conte populaire, le chant des louanges ainsi que certains rituels et cérémonies avaient eux aussi un côté théâtral. Ils combinaient le chant, la musique, le mime, la parole scandée, la danse, et d’autres formes d’action symboliques, et s’accompagnaient de costumes, d’accessoires et de masques, tout en utilisant tous les éléments – intrigues, presonnages et action – qui se combinent au spectacle pour en faire du théâtre. Ils ont perduré jusqu’à nos jours, intégrant des éléments contemporains et souvent aussi des influences extérieures, à leurs modes et techniques de représentation. Ces traditions ont également donné naissance à de nouvelles formes modernes, telles que la «concert party» au Ghana, et le «folk opera» yorouba au Nigeria, qui ne se prêtent pas aisément à la publication de textes imprimés.

Les arts du spectacle africains se sont également développés sous la forme de pièces bibliques librement inspirées des Écritures, souvent pleines d’humour grivois, et dans lesquelles la musique africaine et les chants tiennent une place importante. Dans les années 1940 et 1950, Hubert Ogunde a sécularisé ce type de théâtre, le transformant tout d’abord en divertissement populaire, puis en critique sociale judicieuse, humoristique et efficace. Ogunde, imité par Kola Ogunmola (Nigeria), qui travaille dans la même veine, sont les créateurs du folk opera yorouba. Le chef-d’œuvre d’Ogunmola était une version mise en scène de l’Ivrogne dans la brousse, d’Amos Tutuola. Oba koso (1964, «Le roi ne pend pas»), de Duro Ladipo, est l’un des rares folk operas à avoir été publié dans sa langue d’origine, et ses Trois Pièces yorouba (1964), incluant Oba koso et Oba waja («Le roi est mort»), ont été publiées en version anglaise. Ces œuvres, inspirées de l’histoire, des mythes et des légendes yorouba, sont cependant bien plus savoureuses sous forme de spectacles. Les dialogues sont réduits au minimum; la langue, très imagée, est truffée de proverbes et d’allusions; les thèmes sont austères et souvent tragiques, et une grande partie de l’impact sur le public émane de la musique, du son des tambours, et des danses cérémonielles.

J. P. Clark (Nigeria) a écrit plusieurs pièces importantes en anglais: Song of Goat (1960), un drame émouvant se déroulant dans un village de pêcheurs ijaw (delta du Niger), The Masquerade (1964), The Raft (1964), et Ozidi, une version modernisée et scénique d’une cérémonie ijaw. Mais le dramaturge le plus significatif du monde africain reste sans conteste Wole Soyinka (Nigeria). Abordant du point de vue artistique la prise de conscience de l’identité africaine, s’ancrant dans l’univers mythique et cosmologique yorouba tout en traitant de sujets contemporains touchant non seulement au Nigeria, mais à toute l’Afrique, Soyinka a su créer des œuvres scéniques d’une grande puissance, souvent sur le ton du comique satirique.

Profondément africaines dans leur expression, leur perception et leur impact sont universels. Sa pièce la Danse de la forêt (1963, A Dance of the Forest), qui lui avait été commandée pour la célébration de l’indépendance du Nigeria, mais qui fut interdite de représentation, est une œuvre complexe qui, sur la trame des mythes yorouba, présente une nation examinant sans complaisance sa propre histoire, ses illusions, et les choix auxquels son peuple est confronté. Le Lion et le Bijou (1963, The Lion and the Jewel) et les Tribulations de frère Jero (1963, The Trials of Brother Jero) sont des satires comiques traitant de la vie dans les villages et dans les villes, et du vernis de l’européanisme. Un sang fort (1963, The Strong Breed) et les Gens du marais (1963, The Swamp Dwellers) donnent des portraits poignants de la vie villageoise. La Récolte de Kongi (1967, Kongi’s Harvest) trace le portrait d’un dictateur africain et du culte de la personnalité qui l’entoure. La Route (1965, The Road), l’Écuyer et la mort du roi (1975, Death and the King’s Horseman) et Fous et Spécialistes (1971, Madmen and Scientists) sont des drames philosophiques. Ce ne sont que quelques illustrations de la production théâtrale de Soyinka, qui a fait de lui le dramaturge le plus prolifique du continent.

Pour l’ensemble de son œuvre, théâtre, poésie, fiction, mais aussi critique et essais (Mythe, littérature et le monde africain (1975), Myth, Literature and the African World), Wole Soyinka s’est vu attribuer en 1986 le prix Nobel de littérature. Premier auteur noir africain à recevoir cet honneur, Soyinka l’a accepté, non pas en son seul nom, mais comme une reconnaissance de la réussite littéraire de l’Afrique tout entière.

Internationalisation ou particularismes

L’écrivain d’Afrique noire se trouve confronté à la fois à une internationalisation de ses codes de référence et à un réflexe d’intériorisation et de «désidéologisation» de son écriture. Sa recherche des publics et des partenaires culturels devient difficile pour des raisons à la fois très directement matérielles et financières (à l’exception du Nigeria, la production africaine dépend encore très largement des maisons d’édition et des financements non africains) et aussi très intellectuelles (l’écrivain a le choix de s’exprimer en une langue européenne – et il se coupe de la masse de ses compatriotes – ou en un parler «national» – et il disparaît dans la balkanisation culturelle). Une inquiétude morale et tragique traverse de plus en plus cette littérature. Il faut prendre conscience des liens quasi schizophréniques qui se sont tissés entre les écrivains africains et leurs publics. Comme le souligne le romancier nigérian Kole Omotoso, les romans «deviennent les produits d’une espèce de voyeurisme, un coup d’œil de ceux qui sont riches, la misère lue en silence par ceux qui n’en ont rien à faire de la dénoncer».

Source: http://fr.encyclopedia.yahoo.com

Lu sur diasporas-challenges.com