La journée de l’enfant africain. C’est le 16 juin. Sont ainsi à l’honneur, ce jour-là, de Dakar au Cap, d’Alger à Mombassa, des millions d’enfants de notre continent. Dans la ronde annuelle des Journées célébrant ceci ou cela, c’est rassurant qu’on ait pensé à l’Enfant africain.

Une journée de l’enfant africain, alors que nous avons le chic pour transformer en fête toute célébration. L’enfant africain sera fêté. Parce que nous sommes les peuples du rythme et de la danse. L’enfant africain aura son plateau flamboyant de discours. Parce que nous sommes d’impénitents tchatcheurs, au verbe généreux et à la glose intarissable.

Après les accents lyriques des discours, les ponctuations bruyantes des fêtes, que nous restera-t-il à dire de l’enfant africain ? Quelles questions nous poser au sujet de celui-ci, le présent n’étant guère brillant, alors que l’avenir se pare des couleurs crépusculaires du doute et de l’incertitude ? Ce proverbe malgache exprime bien l’idée qu’une certaine Afrique se faisait de l’enfant africain (Citation) : « Les enfants sont comme une canne aux mains d’un élégant : c’est à la fois une parure et un soutien. » (Fin de citation).

La parure, c’est ce qu’on se plaît à exposer au regard de tous. Il s’agit de magnifier un cadeau divin, en la personne d’un enfant. Il vient combler une femme, un foyer, une famille. On comprend que, pour cette Afrique-là, une maison sans enfants ne peut que résonner en creux. Elle résonne comme une tombe.

Le soutien, c’est le retour sur investissement espéré. L’enfant est ainsi une semence mise en terre. C’est naturellement qu’il appelle l’heureux temps des moissons. S’il en était ainsi hier, qu’en est-il aujourd’hui ? Qu’est-ce qui change ? Qu’est-ce qui va changer ? Qu’est-ce qui doit changer ?

Les contraintes et les exigences d’aujourd’hui, à moins de faire preuve d’une indicible irresponsabilité, n’autorisent plus personne à faire des enfants à la « en veux-tu, en voilà », c’est-à-dire sans compter, sans limites ni limitation. L’éducation de l’enfant revient de moins en moins à la communauté familiale ou clanique. C’est désormais l’affaire quasi exclusive des géniteurs de celui-ci. Et puis, la femme veut être mère à part entière. Aussi accepte-t-elle, de moins en moins, d’être une simple reproductrice. Elle revendique d’être maîtresse de son corps. Elle contrôle la taille de sa famille. Elle ajuste celle-ci à ses revenus, à ses ressources, à ses charges.

L’enfant africain, le soutien de ses parents ? Outre qu’un tel soutien n’est pas automatique, tout porte à croire qu’il est plus moral que matériel. Les enfants d’aujourd’hui sont confrontés à une dure et rude compétition sociale. Ils prennent plus vite leur autonomie. Ils s’affirment tout aussi vite comme des individus. C’est-à-dire, des êtres de liberté et de responsabilité qui ont la capacité de choisir par eux-mêmes et pour eux-mêmes, pour le meilleur ou pour le pire. Ceux que le combat de la vie et pour la vie accapare ainsi n’ont ni beaucoup de temps ni beaucoup d’attention à prêter à leur parents.

Jeté, ainsi, de bonne heure dans la vie et sur les routes du monde, l’enfant africain est amené à faire des expériences multiples et diverses. Enfant soldat nourri au lait de la violence et des atrocités des guerres. Enfant réfugié sur les sentiers perdus d’une errance sans fin. Enfant domestique ou le fameux « Vidomègon » de chez nous. Tous ces enfants jouent la vie à pile ou face, pris en sandwich entre maltraitance et humanité, esclavage et liberté, déviance et sécurité. Ne parlons pas du chômage. Il accueille la plupart d’entre eux sur le pas de la vie active. Ne parlons pas non plus de la drogue ou de la délinquance. D’autres s’y plongent et s’y engouffrent à corps perdu.

Il reste que beaucoup d’enfants africains portent la promesse d’un avenir brillant. Ils sont l’Afrique de demain qui peut afficher son milliard d’habitants comme un réservoir de potentialités humaines sans limites. Les trois quarts de cette population respirent la jeunesse. Nous pouvons en faire un réservoir de rêves et de créativité. Nous pouvons lever une armée au service de notre développement indépendant.

L’Occident a fait stéréotyper l’Afrique de la pauvreté et de la misère par l’image de cet enfant africain moribond. Ce petit être agonisant, dans les bras de sa mère, ravagé par le kwashiorkor, est enveloppé d’une nuée de mouches. Voilà l’image à casser. Non en théorie. Non en paroles. Mais dans les faits. C’est à cette condition seulement que la journée de l’enfant africain annoncera l’aube de la renaissance africaine.

par Jérôme Carlos

Lu sur http://www.lanouvelletribune.info