Dans une banlieue populaire au nord de Rio de Janeiro, une coopérative a bouleversé la vie des habitantes. Des terres en friche sont cultivées par une vingtaine de familles volontaires. Rotation des cultures, diversité biologique, compost, économies d’eau, banque de semences, refus des engrais chimiques et des OGM sont autant de pratiques désormais partagées. Les femmes à l’initiative du projet ont reconquis leur autonomie. Reportage.

« Respecter les sols, pour nous, c’est très important parce qu’il faut prendre en compte que c’est de là qu’on tire nos aliments, qui nous permettent de nourrir nos enfants. » Suelia, une jeune femme de 38 ans, arpente avec fierté sa parcelle, où de très belles salades voisinent avec des aubergines, du gombo ou encore des pommes de terre. Elle explique avoir semé quelques graines de fleurs afin que la terre puisse se reposer, être humidifiée et attirer plus tard les insectes pollinisateurs.

Mère de six enfants en bas âge, Suelia a participé à la création de la coopérative Univerde en 2008, dont l’objectif est d’améliorer les conditions de vie des familles. « Quand j’ai commencé à cultiver ma parcelle, mon mari était atteint d’un ulcère. Je suis très reconnaissante envers la coopérative car, grâce à ses produits, mon mari a une meilleure alimentation et son état de santé s’est amélioré. »

Nous sommes à Nova Iguaçu, une banlieue populaire à 40 km au nord de Rio de Janeiro. Pendant des années, les ordures ménagères ont recouvert les terres en friche. Mais, depuis 2008, le paysage a changé laissant la place à une vaste zone de maraîchage agroécologique. « Ici, on trouve salades, tomates, persil, coriandre, roquette, aubergines, choux, toute la production maraîchère », lance avec enthousiasme Alzeni, la présidente de la coopérative Univerde.

Production individuelle, ventes collectives

L’initiative est partie du programme « Faim zéro » impulsé par le gouvernement Lula. Les terres appartiennent à la compagnie Transpetro, une filiale de Petrobras, la compagnie pétrolière publique brésilienne. L’un de ses pipelines longent le quartier populaire, à un mètre de profondeur. L’entreprise a accepté que ses terres soient cultivées. Un geste pas totalement philanthropique : dans cette zone délaissée par les services de l’État, où se côtoient violence et narcotrafic, la compagnie attend des riverains qu’ils maintiennent les zones des oléoducs propres et empêchent toute construction d’habitations sauvages. À raison d’une parcelle de 1 000 m2 par foyer, une vingtaine de lots ont ainsi été attribués à des familles volontaires de Nova Iguaçu.

Sur le bord d’une parcelle, des sacs d’engrais sont entassés. « Ce n’est pas chimique, c’est du phosphate naturel de roche, précise d’emblée Alzeni.L’industrie agroalimentaire veut nous vendre ses produits chimiques. Mais nous n’avons besoin ni d’engrais chimiques fortement consommateurs en eau, ni de pesticides, seulement d’un bon compost. » Même si chaque parcelle dispose d’un puits équipé d’une pompe, les membres de la coopérative s’emploient à économiser l’eau en protégeant les sols par une couverture végétale. « Pour éviter que les sols se fatiguent, on pratique également une rotation régulière des cultures », ajoute Alzeni.

Autonomie des femmes et projets d’avenir

Bien qu’elle travaille seule, Laudicéia, une ancienne employée agricole, fait de tout sur sa parcelle. L’agroécologie implique en effet une diversité des cultures. En évitant la spécialisation et la monoculture intensive, les familles s’assurent une diversité de revenus, indépendants des variations du marché sur tel ou tel produit. Mais si la production est réalisée sur une base individuelle, tout le reste, y compris les ventes de produits, se fait collectivement. Les membres de la coopérative bénéficient de l’appui technique de l’AS-PTA, l’association brésilienne pour l’agriculture familiale et agroécologique, soutenue financièrement côté français par le CCFD-terre solidaire.

Une fois par mois, une réunion de planification permet d’ajuster la production à la demande. Des contrats ont été passés avec des marchés locaux mais aussi avec la municipalité pour les cantines scolaires. « Il nous faut prendre en compte le temps pour l’achat des semences, pour la production, ainsi que les soucis familiaux de chacun, relate Alzeni. On redistribue les semences et les plants entre membres de la coopérative disposés à produire durant une période donnée. » Deux tonnes de fruits et de légumes sont récoltées mensuellement de façon collective. 70 % des produits sont vendus, le reste est destiné à l’autoconsommation. Une fois les produits vendus, un registre de la production est mis à jour, où chaque agriculteur doit laisser 5 % de son résultat pour les dépenses communes.

« Protéger les sols et la santé de nos enfants »

Avec l’argent gagné grâce au maraîchage, Joice, associée fondatrice, a pu construire sa maison pour abriter ses 4 enfants et s’occuper d’eux. Avant, elle était cuisinière à Rio et ne pouvait voir ses enfants que le week-end. Suelia met une partie de son revenu de côté afin de pouvoir envoyer plus tard son fils à l’université. La grande fierté pour Alzeni, c’est d’avoir contribué avec cette coopérative à l’amélioration de la vie du quartier. La municipalité a, par exemple, commencé à goudronner les routes, à créer un réseau d’assainissement et a édifié une crèche pour les enfants.

« Notre travail a débuté par le nettoyage des parcelles, de l’environnement dans lequel nous vivons, explique Alzeni. Et à partir de là, nos pratiques ont évolué afin de protéger les sols et la santé de nos enfants. Notre conscientisation s’est accompagnée d’échanges avec les voisins, qui nous encouragent à poursuivre notre travail. Ce qui a changé, c’est surtout la vision qu’ont l’ensemble des habitants de leur propre quartier. » Le regard des femmes sur leur propre vie a aussi changé. Après avoir reconquis leur autonomie, chacune d’elles affiche une grande détermination et une estime retrouvée.

80 banques de semences communautaires

Les projets de la coopérative sont encore nombreux, à l’image de la serre qui attend encore ses semences et ses plants. Le producteur qui les livre a pris du retard, ce qui a causé quelques problèmes pour la commercialisation. « Nous allons dédier une partie de nos parcelles à la sélection et à la multiplication des semences, explique Alzeni. Nous ne voulons plus dépendre de fournisseurs extérieurs pour nos semis mais au contraire développer des semences locales adaptées au milieu. » Ce jour-là, les femmes d’Univerde rencontrent Maria, venue de Borborema, une municipalité de l’État de São Paulo. Le pôle syndical qu’elle coordonne est impliqué dans un réseau de 80 banques de semences communautaires auquel participent 2 000 familles. Pour Alzeni, c’est ce type de rencontres et d’échanges d’expériences qui fait la force de leur coopérative et de l’agroécologie.

Renforcer les réseaux d’échanges et ces expériences dans l’agroécologie, c’est tout l’enjeu du travail mené par l’AS-PTA. « Nous n’avons rien inventé, nous avons simplement repéré là où ça existait et donné une visibilité à une pratique sociale très répandue », témoigne Marcio, coordinateur du programme d’agriculture urbaine de l’association. Selon une étude réalisée par la Fondation de recherches économiques [1], l’agriculture familiale générait 27 % du PIB de l’État de Rio Grande do Sul en 2003, contre 23 % pour l’agroalimentaire. « On sait que l’agriculture familiale fournit 70 % de la consommation au Brésil et 75 à 85 % des emplois en milieu rural », précise Luciano, de l’AS-PTA. Aujourd’hui, les programmes d’agriculture urbaine s’étendent dans plusieurs municipalités de l’État de Rio via les coopératives et les associations de quartier. Autant d’expériences réelles et concrètes porteuses d’un projet politique transformateur.

Dans la coopérative Univerde, Josyane, 20 ans, se bat pour associer les jeunes à ce projet. « Nous ne sommes pas que le futur, nous sommes aussi le présent et nous savons que l’agriculture ne peut pas survivre sans son environnement. Tout est lié et il nous faut penser ces inter-relations. » Sa mère, Alzeni, est bien consciente de la difficulté à trouver des gens ayant la capacité et l’envie de travailler la terre en zone urbaine. « Les gens qui sont partis sont ceux qui n’avaient pas cet amour du travail agricole, explique-t-elle. Pourtant, sans un certain amour de la terre, nous ne serions pas allés aussi loin. »

Sophie Chapelle

Photos : © Jean de Pena / Collectif à vif(s)

PAR JEAN DE PEÑASOPHIE CHAPELLE 

 

Lu sur http://www.bastamag.net