Certains ménages et camps militaires de Bujumbura, Burundi, utilisent depuis 2006 pour leur cuisine du charbon fabriqué à partir de déchets ménagers. C’est grâce à une nouvelle technique apportée par une jeune association, dénommée Association pour le développement et la lutte contre la pauvreté (ADLP).

Face à l’incapacité technique et financière des Services techniques municipaux (SETEMU) et à une insalubrité grandissante dans la ville de Bujumbura, la capitale burundaise, les pouvoirs publics ont décidé d’ouvrir le secteur de la collecte et de la gestion des ordures ménagères aux structures privées qui veulent s’y investir. C’est ainsi que l’ADLP est devenue la première organisation privée à s’impliquer dans la gestion des déchets urbains.

La technique ‘valorisation’

«La question des déchets nous préoccupe, surtout à Bujumbura. Nous avons estimé que les SETEMU seuls ne sont plus à la hauteur de cette action. C’est pourquoi nous encourageons toute initiative privée,» nous a confié Bernadette Hakizimana, l’ancienne directrice de l’Environnement au ministère de l’Aménagement du territoire, du Tourisme et de l’Environnement.
Grâce à une technique dénommée ‘valorisation’, les déchets ménagers sont transformés en charbon. Ils sont d’abord collectés, essentiellement les épluchures et les plastiques, en-suite étalés pour le séchage, et enfin, passés dans un moulin pour sortir sous forme de briquettes, compactées de couleur grise.

Les premiers morceaux de charbon ont été produits en août 2006. Aussi, les femmes qui ont essayé le nouveau charbon témoignent de sa qualité. Josée Ndayisenga, une ménagère de Bujumbura, assure que le nouveau charbon est «facile à allumer et ne s’éteint pas en cours de cuisson. C’est un charbon à recommander aux pauvres car il n’est pas cher», assure-t-elle.

Economique et bon marché

«Très économique et bon marché par rapport au charbon de bois, le charbon issu des déchets ménagers a déjà attiré le Ministère de la Défense nationale, grand coupeur d’arbres pour ses besoins énormes de chauffage dans les casernes», estime Benjamin Bikorimana, président de l’ADLP. Selon des expériences réalisées par l’ADLP, un ménage de trente-deux personnes, qui dépensait quatre dollars par jour en charbon de bois, ne dépensera désormais que deux dollars s’il adoptait le nouveau charbon. Bien entendu, cette production est encore dérisoire pour suppléer à la consommation en bois du pays, selon Pierre Barampanze, directeur de l’Energie au Ministère burundais de l’Energie et des Mines. Barampanze révèle que pour avoir un seul petit kilogramme de charbon, il faudra brûler environ 10 kilogrammes de bois parce que les techniques de carbonisation sont encore peu perfectionnées.

Sauver les fôrets

Astère Bararwandika, Directeur des Forêts, révèle que 2 160 hectares de forêts sont détruits chaque année à la recherche du charbon de bois. C’est dire que si le projet de l’ADLP arrive à produire suffisamment de charbon pour couvrir les besoins de tous les citoyens du Burundi, c’est au moins 2 160 hectares de forêts qui seront sauvés chaque année de la destruction.
Si l’action de l’ADLP est soutenue et devient pérenne, nul doute que la pression exercée aujourd’hui sur les forêts burundaises à la recherche du charbon de bois diminuera, estime Onésime Niyungeko, journaliste environnementaliste à Radio Burundi. «Et ce serait vraiment salutaire dans ce pays qui connaît des problèmes de sécheresse due en partie à une déforestation à grande échelle», termine-t-il.

La santé des hommes

L’initiative de l’ADLP a évidemment un impact positif sur la santé des hommes, l’environnement et la protection des arbres. Dans le même temps, elle génère des emplois pour les plus démunis de la communauté comme les veuves, les anciens combattants et les jeunes. Environ quatre-vingts personnes gagnent désormais leur vie à Bujumbura grâce à la collecte, au transport et à la transformation des déchets.

Sur le terrain, l’initiative de l’ADLP ne laisse pas indifférent. Alidi Hakizimana, un habitant de la commune de Nyakabiga, au centre de Bujumbura, estime que «la salubrité s’est nettement améliorée depuis que l’organisation s’occupe des déchets» dans leur commune.
Selon Richard Nimubona, Administrateur de la commune de Nyakabiga, où l’ADLP s’est le plus implantée, «l’ADLP est venue au moment où les SETEMU connaissaient d’énormes problèmes d’intervention. Aujourd’hui, nous collaborons étroitement avec cette association et tout va bien sauf qu’ils ont encore besoin d’espace suffisant pour dégager les déchets non encore traités».

Scepticisme

Les SETEMU paraissent les plus sceptiques par rapport à l’initiative de l’ADLP. Célestin Musavyi, l’ancien Directeur technique des SETEMU estime que les éloges faits à l’endroit de l’ADLP doivent être mesurés. Selon lui, «l’ADLP n’a fait que déplacer le problème puisqu’elle collecte tous les déchets mais ne les traite pas tous. Alors, où va le reste? Cela va constituer de nouvelles décharges non contrôlées».
Mais le président de l’ADLP, Bikorimana, a la réplique adéquate. «Des machines qui vont nous permettre de transformer le reste des déchets en fumure organique vont bientôt nous arriver. En attendant, nous les trions et les mettons de côté. Tous les déchets seront transformés. C’est une question de moyens, sinon la technique, nous la maîtrisons.»

Un gain énorme

Qu’ils la maîtrisent vraiment, cette technique, c’est certain, puisqu’ils sont parvenus à se fabriquer eux-mêmes deux nouvelles machines leur permettant ainsi de produire encore plus de briquettes. Ce qui les rend capable de satisfaire une commande de 80 tonnes de briquettes par mois au compte du Ministère de la Défense nationale et des anciens combattants. Trois camps militaires (Ngagara, Muzinda, Marines) et l’Hôpital militaire sont ainsi approvisionnés en charbon pour la cuisson par ADLP. Ce qui constitue un gain énorme sur les forêts et les boisements du Burundi.

Il est certain aussi que l’ADLP éprouve encore des difficultés d’espace pour le triage et le séchage des ordures, qu’elle manque de maté-riels roulants et de machines adéquates, mais elle reçoit un soutien effectif, de l’administration au plus haut niveau. Et les SETEMU ont récemment reconnu leur incapacité à résoudre le problème de collecte et de traitement des déchets ménagers, et ont orienté ses clients vers des associations comme ADLP.

Par Par Jérôme Bigirimana |

Lu sur Nouvel Afrique