(Syfia Mali) À 20 ans, Ismaïla Samassekou ne rêvait que d’Occident. Refoulé aux portes de l’Europe, il a fondé en 2005 avec d’autres anciens migrants clandestins une association. Cette dernière, qui compte plus de 400 membres dans plusieurs régions du Mali, accueille les expulsés et mène des campagnes pour dissuader d’autres jeunes de partir.
Ismaïla Samassekou : En fait, j’étais plutôt content de revenir, car j’avais peur. J’ai été refoulé à la suite des évènements de Melilla et Ceuta en 2005. Les gens se sont révoltés et voulaient rentrer en Espagne en escaladant les barbelés. Des gardes-frontières ont tiré sur la foule. Des gens sont morts (11 clandestins, Ndlr), certains ont pu entrer en Europe, mais beaucoup comme moi ont été arrêtés.
Quand je suis revenu au Mali, je n’ai eu aucun problème. Mes parents, mes amis, tout le monde m’a bien accueilli. Par contre, ce qui me dérange jusqu’à présent est que ceux qui ont pu aller en Espagne ont dit qu’il fallait être béni pour fouler le sol européen. Ça m’a fait mal d’entendre cela. Un jour j’irai, mais pas pour travailler. Juste pour leur prouver que ce n’est pas par malédiction que je n’y étais pas entré.S.I. : Selon vous, les jeunes sont-ils poussés à l’émigration ?
I.S. : Les responsabilités sont partagées. Les jeunes prennent la décision de partir, mais les parents sont souvent responsables, de même que toute la société. Ainsi, dans certaines parties du Mali, lorsque vous n’émigrez pas, si par exemple vous n’avez aucun parent en France, en Espagne, aux États-Unis ou en Italie, vous ne pourrez pas trouver une épouse. Certains ont perdu leurs fiancées parce qu’ils étaient partis et revenus sans avoir réussi… Il faut que les gens abandonnent ce genre d’idéologie. Ayons foi en nous-mêmes et en notre pays !S.I. : Qu’avez-vous entrepris depuis votre retour au Mali ?
I.S. : Avant de tenter d’émigrer en Espagne, j’étais en première année de Droit à l’Université de Bamako. J’ai donc repris mes études. Mon mémoire porte sur les questions de migrations. Je me consacre également aux activités de l’Association retour, travail, dignité (ARTD). Notre siège héberge pendant trois jours des expulsés d’Europe en attendant qu’ils regagnent leurs familles. La plupart sont en effet de jeunes ruraux qui n’ont pas de parents à Bamako. Ils reviennent très démunis. Nous leur donnons à manger et informons leurs proches. Nous les aidons également à retourner chez eux.
Nous organisons par ailleurs des campagnes d’information sur les dangers de la migration irrégulière. Tous nos membres sont des clandestins refoulés. Nous savons donc que l’Europe n’est plus l’Eldorado et qu’il faut expliquer aux gens les souffrances qu’on peut rencontrer sur la route de l’émigration clandestine. Nous avons sillonné plusieurs régions du Mali pour présenter une pièce de théâtre inspirée de nos expériences. Le 18 décembre dernier, à l’occasion de la Journée internationale des migrants, nous avons été à Kita (environ 160 km au sud de Bamako, Ndlr) avec une ONG espagnole pour sensibiliser les jeunes. Enfin, nous alertons le gouvernement malien pour qu’il intercède auprès des autorités libyennes, afin que nos compatriotes migrants, détenus dans ce pays, soient libérés.
S.I. : Que conseillez-vous aux jeunes qui veulent partir ?
I.S. : Je vois dans mon quartier beaucoup de jeunes qui ont le permis de séjour en Espagne, mais qui sont au Mali depuis plusieurs mois. Ils n’arrivent pas à repartir. Ils disent que c’est parce qu’il n’y a pas de travail là-bas… Les gens ne doivent donc pas risquer leur vie en traversant le Sahara pour chercher ce qui n’existe pas. Le problème est que nous n’avons pas l’ambition de changer les choses dans notre pays. Nous pensons que nous ne pouvons pas réussir sans quitter le Mali. Pourtant, il y a beaucoup d’opportunités offertes par le gouvernement et des organismes comme le CIGEM (Centre d’information et de gestion des migrations à Bamako, structure de l’Union européenne, Ndlr) qui informe et accompagne les gens, notamment à des métiers artisanaux ou agricoles. Nous pouvons aussi bénéficier de l’appui de l’ANPE (Agence nationale pour l’emploi) sans y connaître quelqu’un. Je dis donc aux jeunes qu’ils peuvent réussir ici au Mali.