L’Égyptienne Manal Hassan ; l’Ougandaise Jolly Okot ; la Mexicaine Judith Torrea. Au premier Congrès des ‘TIC pour la Paix’, trois cyber-activistes racontent leurs expériences.
« Moins nous savons ce qui se passe dans le monde, moins nous aurons de possibilités de le changer ». Cette phrase est revenue comme un leitmotiv au premier Congrès des TIC pour la Paix, qui s’est tenu à San Sebastian, dans le pays basque espagnol, les 23 et 24 octobre.
Organisé par la Fondation Culture de Paix et la Fondation des Cyber Volontaires, ce rendez-vous avait pour thème : « Les femmes, la technologie et la démocratie pour le changement ». L’occasion de souligner à quel point les technologies de l’information et de la communication (TIC) sont des outils particulièrement adaptés à la promotion des droits humains, et spécialement les droits des femmes. Et alors que les femmes restent largement absentes des instances de décision, des processus démocratiques et de la construction et de la consolidation de la paix, les TIC peuvent leur permettre de surmonter cette discrimination.
Quatorze activistes venues de quatre continents étaient présentes à San Sebastian. Parmi elles, Manal Hassan, une cyber-activiste qui a pris part à la révolution égyptienne ; Jolly Okot, une ancienne enfant-soldat en Ouganda, qui a fondé l’ONGInvisible Children ; et Judith Torrea, une journaliste et blogueuse qui commente la vie quotidienne à Ciudad Juárez, ville mexicaine tristement célèbre pour ses féminicides. Trois femmes qui ont partagé leurs expériences spécifiques, pour lesquelles les TIC ont été des alliées.
En Égypte, contourner la censure
Manal Hassan et son mari travaillaient déjà sur le développement de nouvelles technologies appliquées aux changements sociaux, quand des centaines de milliers d’Égyptiens se sont retrouvés place Tahrir, au Caire, le 25 janvier 2011, pour pousser Moubarak à quitter le pouvoir.
Bien avant le ‘printemps arabe’, elle avait collaboré avec des ONG pour créer des bases de données et des centres de documentation, et avait contribué à construire une plate-forme de blogs pour permettre à des groupes politiques de diffuser leurs idées. « Au début, nous étions peu nombreux », explique-t-elle. « Puis il y a eu une vague de réponses, et la révolution est arrivée ».
Les réseaux sociaux, comme Facebook et Twitter, sont devenus les symboles de la révolution égyptienne, surtout quand le régime a décidé de bloquer l’accès à internet. Manal Hassan et des milliers d’autres Égyptiens ont utilisé leur savoir-faire pour contourner la censure.
Elle, par exemple, se trouvait alors en Afrique du Sud. Elle a donc rassemblé les informations qu’elle pouvait recevoir via son téléphone et, de là, postait sur les blogs ce qui se passait place Tahrir. Des serveurs étaient connectés les uns aux autres pour passer outre le blocage, et des messages vocaux étaient transformés en tweets pour permettre aux manifestants sur la place de raconter en quasi-direct ce qui s’y passait.
La militante égyptienne insiste sur un point clé : les femmes ne se positionnent pas seulement sur des questions de genre. Elles s’impliquent sur tous les sujets politiques et sociaux. Maintenant que Moubarak est tombé, il reste beaucoup à faire, souligne Manal Hassan. Les militaires sont apparus pire encore que le dictateur, déplore-t-elle : l’activisme est donc plus que jamais nécessaire.
L’outil indispensable en Afrique : l’éducation
L’enfance de Jolly Okot a pris fin brutalement en 1986, quand elle a été enrôlée de force dans l’Armée de résistance du seigneur (Lord’s Resistance Army, LRA) en Ouganda.
Elle a eu la chance de pouvoir s’enfuir. En 2005, elle a commencé à faire des documentaires et a fondé l’organisation Invisible Children, qui documente sur les horreurs vécues par les garçons et les filles forcés de combattre dans différentes guerres. Elle promeut également l’éducation et aide ces victimes à s’en sortir. L’organisation a notamment participé à la campagne “Kony 2012″, un court-métrage, devenu viral sur internet, consacré aux exactions commises par le chef du LRA, Joseph Kony. Son but : arrêter Kony et le traduire devant la Cour pénale internationale.
La grande réussite des nouvelles technologies est que, avec un simple clic, des milliers de personnes peuvent recevoir une information ; et on peut atteindre directement les dirigeants, pour les inciter à prendre une décision, souligne l’activiste ougandaise, qui a figuré parmi les nominés pour le prix Nobel de la Paix..
Mais les TCI sont un outil complémentaire pour le changement, note Jolly Okot. L’outil indispensable, celui qui changera réellement les choses en Afrique, c’est l’éducation.
Au Mexique et ailleurs, provoquer le débat
« Malheureusement, les journalistes n’ont pas tellement le pouvoir de changer les choses. Notre devoir est de rapporter ce qui se passe, et de laisser les autres assumer leurs responsabilités », explique Judith Torrea. Cette Mexicaine écrit depuis 14 ans sur les meurtres de centaines de femmes à Ciudad Juárez, à la frontière avec les États-Unis
Elle souligne « l’importance de voix alternatives qui racontent la vérité sur ce qui se passe sur le terrain », même si ces voix peuvent être une « nuisance » pour le pouvoir… comme c’est son cas. Car les blogueurs, en tant que vecteurs du changement, subissent des pressions de la part des personnes au pouvoir, raconte-t-elle.
« Quand les blogueuses – je parle des femmes, parce ce sont elles que je connais le mieux – arrivent à se faire entendre, c’est là qu’elles commencent à subir le plus de pressions ; cela va jusqu’aux menaces et aux campagnes de calomnies », explique Judith Torrea, qui a publié l’an dernier un livre : ‘Juárez, en la sombra del narcotráfico’ (Ciudad Juárez, dans l’ombre du narcotrafic), et a reçu de nombreux prix pour son travail.
« Quand le pouvoir se sent attaqué, il réagit en s’en prenant aux voix qui provoquent le débat », observe la journaliste qui y voit un phénomène global. « Cela nous arrive à toutes, que nous soyons en Tunisie, à Ciudad Juárez ou en Arabie Saoudite », conclut-elle.
Par Alberto Pradilla, IPS