Zoom sur l’invention de la présidente du Groupe d’initiative commune des paysannes de Bogso

La Camerounaise Téclaire Ntomb a inventé, avec l’aide de son fils adoptif, une farine de manioc qui peut servir à fabriquer des biscuits, et même du pain. Une trouvaille qui a mis deux ans à aboutir, mais qui semble faire ses preuves. Seul hic : la recette magique, brevetée par l’organisme africain de la propriété intellectuelle, n’est pour l’instant produite que dans une petite fabrique, faute de moyens. Interview.

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Des biscuits à la farine de manioc. On peut manger de tels gâteaux au Brésil, mais aussi au Cameroun. Et plus précisément dans le village de Bogso (département de Nyong Kelle, province du Centre) et ses environs, où Téclaire Ntomb a eu l’idée de créer une farine spéciale à base du fameux tubercule. Après deux ans de travail avec son fils adoptif, Elvis Banlock, la présidente du Groupe d’initiative commune des paysannes de Bogso (Gicpab) a finalement atteint son but. Avec succès, explique-t-elle, bien que les quantités produites restent circonscrites par manque de moyens. Découverte avec la responsable dynamique de 67 ans.

Afrik.com : Dans votre association, vous faites beaucoup la promotion du manioc. Pourquoi ?
Téclaire Ntomb : Ce sont les femmes de l’association que j’ai montée qui ont choisi le manioc. Car il pousse partout et nourrit les familles. C’est une denrée que les hommes n’ont jamais considérée, estimant qu’elle n’apportait pas grand-chose comme revenu. Les femmes voulaient en faire à la fois un produit de rente et d’alimentation. Les tubercules mêmes ne s’écoulaient pas, mais personne n’avait pensé à les transformer pour qu’ils permettent la rentrée d’argent. J’ai donc réfléchi à des formes de transformation. Nous avons maintenant plus de trente recettes sur le manioc. Nous faisons du gari, des frites, du mitumba (un gâteau traditionnel)… Car l’objectif de notre association est notamment de parvenir à la sécurité alimentaire grâce à ce tubercule.

Afrik.com : Comment avez-vous pensé à créer une farine spéciale ?
Téclaire Ntomb : L’idée m’est venue comme ça, au fur et à mesure que nous avions de nouvelles recettes. Cela me semblait d’autant plus adapté que le manioc est consommé partout en Afrique centrale. Nous avions acheté une farine de manioc produite par une autre association basée à Pouma pour faire des gâteaux. Mais la pâte obtenue à partir de cette farine n’était pas élastique comme celle de blé. Elle « cassait » beaucoup parce quelle manquait de gluten (protéine, ndlr).

Afrik.com : Comment avez-vous procédé pour que votre farine ne « casse » pas ?
Téclaire Ntomb : Je ne peux pas rentrer dans le détail de ce que nous ajoutons car nous avons déposé un brevet. Mais je peux vous dire qu’Elvis Banlock, un jeune homme que j’ai adopté, m’a conseillé d’ajouter du gluten de base animale. Rien n’est chimique dans la fabrication, tous les composants sont naturels. Nous avons mis deux ans à trouver la recette qu’il faut pour que ça marche, mais les premiers gâteaux que nous avons faits n’ont rien à voir avec ceux que nous faisons maintenant.

Afrik.com : Pouvez-vous tout de même nous expliquer comment vous fabriquez votre farine ?
Téclaire Ntomb : Nous lavons, épluchons et râpons. Ensuite, nous pressons le manioc pour en faire ressortir l’amidon et le mélangeons à notre gluten. Puis nous pressons de nouveau le mélange pendant 45 minutes, le temps qu’il y ait une petite fermentation. Et enfin nous séchons le tout. C’est un processus qui prend plusieurs heures, quelle que soit la quantité de manioc à traiter.

Afrik.com : Combien de grammes de farine obtient-on avec un kilo de manioc ?
Téclaire Ntomb : On obtient 450 grammes.

Afrik.com : Quelle est votre production actuelle de farine ?
Téclaire Ntomb : C’est difficile à quantifier. Ça dépend des commandes que nous avons, ce n’est pas fixe. Toutes transformations de manioc confondues, nous traitons deux tonnes du tubercule par semaine.

Afrik.com : D’autres Camerounais ont-il inventé une farine ressemblant à la votre ?
Téclaire Ntomb : Je ne sais pas s’il y en a d’autres, mais nous sommes dans une association d’inventeurs et nous n’en avons pas entendu parler.

Afrik.com : Quelles sont les caractéristiques de votre farine ?
Téclaire Ntomb : Lorsque nous avons commencé à la travailler, nous avons constaté qu’elle était légère et qu’elle levait avec n’importe quelle levure. Au Brésil, ils utilisent une levure spéciale pour faire lever la pâte. Mais nous avons essayé la même levure utilisée pour faire lever une pâte à base de blé, et ça a bien pris. Pour la préparation des gâteaux, la seule chose qui change, c’est donc seulement la farine.

Afrik.com : La qualité de votre farine est-elle reconnue ?
Téclaire Ntomb : Lorsque nous nous sommes rendus au Salon international des innovations de Libreville (Gabon), en septembre 2002, nous avons reçu un diplôme attestant de la qualité de notre farine. Et c’est là que nous reçu le prix de la propriété intellectuelle avec une médaille d’or. Après ce salon, on nous a encouragés à exposer nos biscuits. Lorsque j’ai envoyé le dossier pour participer à l’exposition universelle de Hanovre (Allemagne) de 2000, on m’a demandé d’envoyer des documents prouvant notre activité. En recevant le livre de recettes sur le manioc, le président du pavillon alimentaire a été très intéressé et il est venu au Cameroun pour voir comment nous travaillons.

Afrik.com : Pouvez-vous faire du pain avec votre farine ?
Téclaire Ntomb : Oui mais pas en grande quantité car il faudrait une machine pour étaler correctement la pâte. Nous avons eu l’occasion de former un groupe qui avait une machine à pétrir. Nous les avons laissés travailler sans leur dire que notre farine était à base de manioc et les pains produits étaient vraiment bons.

Afrik.com : Sent-on au goût la différence entre un gâteau à base de blé et un autre à base de manioc ?
Téclaire Ntomb : Si on ne dit rien à la personne qui goûte, elle ne va pas réaliser. Mais si on dit qu’il y a de la farine de manioc, les gens sentent parfois un arrière-goût de manioc. Quelquefois, ceux qui goûtent disent d’eux-mêmes qu’ils sentent le manioc. Et c’est une bonne chose ! Car la farine de blé et celle de manioc, ce n’est pas pareil !

Afrik.com : Votre farine de manioc est-elle moins chère que celle de blé ?
Téclaire Ntomb : Nous produisons de petites quantités car nous avons seulement une fabrique, mais notre farine est moins chère. Nous faisons le kilo à 300 FCFA, alors que la farine de blé (qui est importée) coûte 350 FCFA. Si nous parvenions à produire de grosses quantités de manioc dans le pays, la farine coûterait encore moins cher car nous aurions toute la matière première et donc pas besoin d’importer.

Afrik.com : Votre farine se vend-elle bien ?
Téclaire Ntomb : Oui, mais nous sommes très limités. Il nous faudrait un séchoir : quand il y a du soleil, ça va. Mais quand il pleut, nous rencontrons des problèmes pour sécher la farine. Il nous faudrait des moyens pour que nous puissions nous développer. Si nous pouvions valoriser la farine, cela aiderait beaucoup de gens.

Afrik.com : Vous ne recevez pas d’aide ?
Téclaire Ntomb : La coopération canadienne, ayant vu nos efforts, a fait un don de 10 millions de FCFA. Ce qui nous a permis d’acheter une râpeuse pour faire du gari, une presse et une balance pour peser le manioc. Une organisation non gouvernementale américaine nous apporte aussi son aide pour d’autres volets de notre association (nous avons créé une cantine scolaire et aidons des orphelins du sida, notamment) en nous accordant de petites sommes. Nous faisons maintenant payer 50 FCFA par repas dans la cantine scolaire. Et quand il y a 200 enfants qui mangent, ça fait beaucoup d’argent. Nous avons aussi des aides bénévoles.

Afrik.com : Et le gouvernement ?
Téclaire Ntomb : Le gouvernement, qui organise des séminaires d’agriculture et a mis en place un programme pour une bonne production des tubercules, nous ont donné des outils et de quoi transporter le manioc, pour ne pas avoir à le faire sur notre dos ou sur notre tête.

Afrik.com : Les villageois voient-ils les retombées financières de votre activité ?
Téclaire Ntomb : Nous travaillons nous-mêmes dans les champs pour cultiver le manioc. Mais nous achetons le manioc de tout le village et même des environs. Nous payons 25 FCFA le kilo de manioc et 35 FCFA lorsqu’il est épluché. Lorsque les gens nous aident pour produire les dérivés, ils reçoivent d’une façon ou d’une autre une petite rémunération.

- Contact du Groupe d’initiative commune des paysannes de Bogso
Tél : (00237) 756 52 83 / 793 22 66 / 508 77 15
E-mail : teclaire@yahoo.com ou gicpab@yahoo.fr

Lu sur Afrik.com