« Le Cameroun, sur le divan » de Dominik FOPOUSSI
Par Valentin Siméon ZINGA*

L’amateur de roman doit s’y prendre par deux fois. Car, Si son attention est prise à défaut, s’il n’est pas attentif, il n’échappera peut-être pas à la charge de l’illusion que charrie le titre de cet ouvrage. Châtiments névrotiques, donne à première vue, l’impression d’être le titre d’un essai psychanalytique : un lointain écho à Sigmund FREUD, ou à Jacques LACAN. Mais à bien y regarder, ce titre semble suggérer un état clinique avéré, celui d’un système de gouvernance soumis au divan de l’auteur… Ce-dernier se sert volontiers d’un personnage central, Dégé, archétype d’arrivisme non dissimulé, avec ce qu’il recèle de tentation pour l’arrogance assumée, de goût d’extravagance assouvie ou contrarié , de penchant pour l’omnipotence tantôt fictive, tantôt effective.

Ce Dégé-là, Dominik FOPOUSSI s’en sert comme d’un authentique guide, pour nous conduire dans un édifice, qui comporte trois pièces et autant de clés d’accès : politique, éthique, et esthétique.

L’espace politique, met en scène, un pouvoir en place travaillé par sa perpétuation, tout entier dévoué à un « chef central » ; sorte de démiurge auquel les créations et les créatures doivent soumission et allégeance absolues. Les destins les plus enviables s’y nouent autour des combinaisons relationnelles les plus alambiquées, porteuses elles-mêmes de combines les plus notoires. S’y révèlent aussi : le recours à une répression féroce des dissidences avérées ou soupçonnées, l’enrégimentement et la domestication des poches de rébellion animées par des forces d’opposition poussées vers de douteux compromis, ou contraints à de spectaculaires compromissions.

Les univers carcéral et policier dont l’auteur livre par le menu, une saisissante description, et les codes de fonctionnement, témoignent à suffisance de l’arsenal répressif en vigueur. Pas seulement : ils accueillent des personnalités, figures emblématiques du système, affrontant une déchéance aussi brutale qu’inattendue, par suite du déclenchement de procédures relatives à des dossiers touchant à la gouvernance, ou présentés comme tels…
De quoi faire irruption dans le coin éthique de ce roman. Les atteintes à la fortune publique par les personnalités à divers titres et niveaux de l’appareil ‘Etat, ouvrent le procès à tiroirs d’une élite gagnée par la corruption qui gangrène le sérail, adepte d’un hédonisme jouissif et débridé, avec ses trahisons, ses félonies, ses mœurs littéralement dissolues. Un vrai sport national. La privatisation du patrimoine collectif dont les techniques sont connues de tous, prospère sous les regards approbateurs de ceux qui s’y adonnent, et ceux, envieux et impuissants de la multitude réduite à une misère autant rampante qu’implacable. Et le sursaut moral de Dégé, soudain porté vers des actes de charité une fois emprisonné, n’y change absolument rien.

Ce puzzle, dont les pièces sont rassemblées à fleurs de lignes, n’est finalement accessible grâce à un art consommé de la mise en récit. Reviennent alors en surface, ces mots de Jean-Paul SARTRE, dans Qu’est-ce que la littérature ? : « Bien que la littérature soit une chose et la morale une tout autre chose, au fond de l’impératif nous discernons l’impératif moral ». (SARTRE, 1948 : 69)

Avec une telle contiguïté, nous voici au seuil de la pièce esthétique de ce roman. Il nous tarde d’y entrer. Nul ne s’étonnera du caractère haletant du récit, rendu palpitant par le truchement d’un style…châtié, d’une écriture qui alterne phrases courtes et longues. L’intrigue tient bien sûr en haleine le lecteur de la première à la dernière ligne. L’auteur joue d’une pluralité d’outils, qui valent autant de figures de styles : ici la litote succède à la prétérition ; là, l’ellipse côtoie l’hyperbole la plus parlante, ou l’allusion la plus signifiante. De sorte que, parfois, il arrive de suggérer que le personnage central,- Dégé pour ne pas le nommer-, est la métonymie d’une déchéance et d’un désarroi collectifs. A l’évidence, l’auteur est bien prisonnier de ses Humanités et n’a rien oublié des principes de l’écriture journalistique qui vous enserre insidieusement le long d’une vie. Qui lui en vaudrait pour cela ?

Même si écrire c’est, en un sens, dévoiler, le Cameroun se donne à voir, sans fards ni artifices, sous cette plume joyeuse et néanmoins désabusée, par son « opération épervier », jamais à l’abri de l’intrication du politique et du judiciaire ; ses politiciens véreux travaillés ou mus par de si primaires passions et le peu de cas fait au sens de la République ; et à ses misères tenaces qui libèrent un imaginaire riche de ses bricolages, mais toujours condamnées à l’impuissance.
Alors oui, subir ces châtiments névrotiques est un vrai régal. Voilà le terrible oxymore que sa lecture nous inflige.

*Journaliste à la périphérie
Châtiments névrotiques, 2015
Editions Diasporas Noires, Collection Vies, 208 pages

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