La styliste sénégalaise et fondatrice de la Semaine de la mode de Dakar, Adama Amanda Ndiaye, alias Adama Paris.

 

 

La Fashion Week de Dakar (du 12 au 17 juin), au Sénégal, fête cette année ses 10 ans. Sa fondatrice, la styliste Adama Amanda Ndiaye, alias Adama Paris, revient sur la genèse de cet événement et ses ambitions.

Comment vous est venue l’idée de ce projet, il y a dix ans ?

Adama Paris : Mon père est diplomate, du coup, j’ai grandi à l’étranger. Un jour, j’ai eu envie de revenir dans mon pays d’origine, le Sénégal, et d’y créer quelque chose. Mon univers étant celui de la mode, j’ai voulu présenter mes collections dans le cadre d’un défilé. C’est à ce moment que je me suis rendue compte qu’il n’existait pas de semaine de la mode sur le continent africain. J’ai décidé d’y remédier.

D’ailleurs, l’intérêt porté à cet événement a considérablement augmenté au cours de ces dix ans. On accueille pour cette édition trente créateurs, venant de neuf pays différents – la première année, seuls sept stylistes présentaient leurs collections. On prend de plus en plus d’ampleur à l’international, beaucoup d’autres pays, notamment africains, s’intéressent à notre projet. On note aussi une croissance des acheteurs. Ces derniers sont originaires de pays africains, mais pas uniquement. Certains viennent de Londres ou de Paris, ce qui témoigne d’un réel marché, qui ne se limite pas qu’à notre continent.

 

 

 

Comment décririez-vous la mode africaine ?

Adama Paris : Ce qui est essentiel dans la mode, et plus largement dans la création africaine, c’est sa diversité. On a pour ambition de la reproduire lors de la Fashion Week de Dakar en faisant appel à une large palette de créateurs, originaires de différents pays et avec des influences variées. Notre objectif est avant tout de montrer que l’on peut être Africain et moderne, que la mode de notre continent ne se limite pas au pagne et au boubou. Par ailleurs, la majorité des designers africains ont fait leurs classes en Europe, leur regard sur la mode ne se limite pas aux racines africaines, au traditionnel. On essaie d’éduquer le regard que les gens portent sur ce continent : on est en phase avec notre époque.

Un styliste égyptien, Titos, a déclaré à la BBC qu’il était « très compliqué defaire de la mode dans [son pays] » en raison du poids de la religion. Qu’en pensez-vous ?

Adama Paris : C’est un véritable problème. A Dakar, nous voulons offrir une plateforme à des personnes qui se trouvent non pas dans l’incapacité de créer dans leur pays, mais qui n’ont pas la possibilité de partager leurs créations. Sur le continent africain, l’interprétation faite par certains des religions, mais aussi l’intolérance envers l’homosexualité et tant d’autres tabous, sont un frein au partage et à la découverte d’œuvres, bien au-delà de l’univers de la mode. La problématique transcende par ailleurs le cadre africain. Cette année, une créatrice pakistanaise participe à la Fashion Week de Dakar. Elle aussi souffre d’un environnement national très limitant. On a la chance au Sénégal de bénéficier d’unclimat moderne et tolérant dans lequel la religion est présente, mais non contraignante.

Une créatrice pakistanaise présente ses collections. Lors de cette manifestation, il n’y a donc pas uniquement des stylistes africains ?

Adama Paris : On a par le passé accueilli des créateurs originaires du Laos ou de la Chine. C’est la deuxième année que cette styliste pakistanaise est présente à Dakar. Notre Fashion Week n’a pas été pensée comme une vitrine de la mode africaine, mais plus comme une manière de fixer le regard sur notre continent. L’idée était de faire de notre capitale une ville où s’expose une création et une zone géographique où existe un véritable marché.

Lors du défilé organisé en plein air à Dakar.

Vous avez mis en place un défilé gratuit sur le boulevard du Centenaire avec pour ambition de démocratiser la mode…

Adama Paris : J’aime la mode parce que je la ressens comme un moyen de se réaliser, au même titre que la musique ou la peinture. Dès lors, il est pour moi inconcevable de la limiter à une catégorie de personnes. Organiser ce défilé au cœur d’un quartier populaire de Dakar était essentiel. On a toujours essayerd’élargir notre audience dans le cadre de cette Fashion Week, en délocalisant certains défilés dans d’autres villes du Sénégal, mais c’est la première fois que l’on met en place un événement de cette échelle dans la capitale. Cela a permis à des stylistes de faire vivre leurs créations, de les montrer à une population qui n’aurait jamais pu les voir en vrai et de faire participer les gens à un rêve plus grand.

Ce n’est pas parce qu’on n’a pas les moyens de s’offrir quelque chose que l’on n’en apprécie pas la beauté. Et puis, de nombreuses jeunes filles ici aimeraientdevenir mannequin ou travailler dans le monde de la mode. C’est important pour elles de vivre ce genre de rendez-vous. Il faut encourager l’entrepreneuriat, notamment féminin, en Afrique. La mode souffre de son sectarisme, il est indispensable de la démocratiser.

Par Aude Lasjaunias (propos recueillis)

Lu sur http://www.lemonde.fr