(Syfia France) Après une longue et patiente initiation de 20 ans au Sénégal, Yvette Parès, médecin et chercheuse occidentale, est passée à la médecine africaine. Depuis, elle revendique une alliance entre les médecines traditionnelles du monde et la médecine moderne pour mieux affronter les maladies. Parcours d’une pionnière.

En 1980, Yvette Parès, professeur à l’université de Dakar au Sénégal et médecin occidental, récemment initiée à la médecine africaine participe à la création d’une œuvre privée charitable, l’hôpital traditionnel de Keur Massar, en pleine brousse à 25 km de Dakar. Pendant 20 ans, elle y pratique une médecine traditionnelle. En 2004, à l’âge de la retraite et de retour en France, elle publie « La médecine africaine, une efficacité étonnante. Témoignage d’une pionnière ».Comment une scientifique, universitaire, dirigeant un institut de recherche en bactériologie en est-elle venue à pratiquer la médecine africaine ?Ce ne fut pas un coup de tête, une décision subite, une attirance vers l’exotisme. Dans mon laboratoire à Dakar, nous étions parvenus à cultiver le bacille de Hansen, responsable de la lèpre, qui pendant un siècle avait résisté aux efforts de nos devanciers. La méthode des antibiogrammes devenait donc possible… Elle permit de mettre en évidence l’efficacité des extraits de plantes anti-lépreuses sur le bacille. Ces résultats donnaient donc un support à la réputation des thérapeutes traditionnels spécialisés dans la lèpre. D’autre part, la faiblesse des traitements classiques ne pouvait être niée. L’état des malades en attestait avec la plus grande évidence. Je me trouvais donc à la croisée des chemins devant un choix inéluctable : soit accepter la situation telle qu’elle était avec toutes ses déficiences, soit rechercher l’aide et l’enseignement des thérapeutes réputés dans le domaine de la lèpre. J’adoptai la seconde attitude qui représentait un saut dans l’inconnu.

Où se forme-t-on à ces médecines traditionnelles ?

La seule école qui soit, c’est la transmission de maître à disciple. Un maître vous choisit d’après vos aptitudes et ce qu’il juge bon en vous. C’était presque insolent de ma part de demander à être enseignée. En plus, il n’était jamais arrivé qu’une Occidentale soit introduite en médecine africaine. Mais des circonstances exceptionnelles ont fait tourner la roue en ma faveur. À l’époque, j’avais 54 ans, j’étais chercheuse en bactériologie et médecin. La première des choses que mon maître, Dadi Diallo, me demanda d’intégrer, c’est qu’à compter du jour où je devenais son disciple il me considérerait comme ne sachant rien. Au début, je n’avais même pas le droit de poser de questions, mais juste celui de regarder et d’écouter. C’est le maître qui dit ou ne dit pas, après avoir cueilli une plante, son nom, son utilisation, etc. C’est lui qui décide du lieu, du contenu et du rythme des apprentissages. Je me levais à 5 h pour aller cueillir les plantes. La journée, je travaillais à l’université et le soir je retournais au centre de Keur Massar. Il faut 15 ans pour apprendre cette médecine.

En quoi consiste la médecine africaine ?

Comme toutes les médecines traditionnelles du monde, la médecine africaine est sacrée. Ce qui la conduit tout naturellement à traiter le malade considéré dans sa totalité, dans l’unité que forment son corps, son âme, son esprit et pas seulement l’organe malade. Le caractère sacré se manifeste dans toutes les étapes de l’art médical et pharmaceutique. Le thérapeute se considère comme un intermédiaire entre le principe de vie d’ordre divin et le patient. Son rôle est d’orienter et de stimuler les forces de guérison du malade par l’accueil, l’écoute, les soins, les traitements, le réconfort, les prières et les encouragements. De plus, la médecine traditionnelle n’attaque pas un agent pathogène d’une seule manière, mais à l’aide de l’ensemble des substances actives contenues dans une décoction, une extraction ou une macération de plusieurs plantes ou racines différentes, parfois cinquante… Là où la médecine moderne est analytique et attaque le problème avec une seule molécule, la médecine traditionnelle, elle, l’attaque sur plusieurs fronts. Il n’y a pas de risque ainsi de faire apparaître des résistances à l’action combinée de toutes ces plantes. Quel avenir, selon vous, faut-il réserver à ces médecines traditionnelles ? À Keur Massar, au fil du temps, quatre autres thérapeutes d’ethnies différentes et leurs disciples vinrent étoffer l’équipe en même temps que s’élargissaient nos activités avec les consultations externes de médecine générale. À ce jour, plus de 250 000 malades, toutes maladies confondues, ont reçu nos soins. Étant de culture occidentale, je n’ai pu saisir toutes les richesses spirituelles, toutes les richesses thérapeutiques de cette médecine mais ce que j’ai pu découvrir m’a remplie de respect et d’admiration. On a à apprendre de tout le monde. La transmission depuis des millénaires de la médecine traditionnelle ne doit pas s’arrêter. Face au sida, l’Afrique n’est pas le continent démuni que l’on s’obstine à décrire. Les peuples africains ont leur médecine traditionnelle riche de savoirs accumulés et éprouvés au cours des millénaires. Ils ne doivent pas se sous-estimer mais agir avec détermination. Lors de la VIe Journée mondiale du sida (en 1993, Ndlr), le secrétaire général de l’ONU alors en fonction Boutros Boutros-Ghali, n’avait-il pas demandé à New York, au siège de Nations unies, « un effort de coordination étendu à tous les savoirs médicaux de la planète » pour arriver à vaincre le sida. Partout, l’intelligence a inventé une médecine intégrée, adaptée à son environnement. Il faut convier les médecines chinoises, ayurvédiques, amérindiennes, arabes, celle de l’île de Pâques, celles des maîtres africains, ainsi que des moines médecins bouddhistes et toutes les médecines du monde à lutter ensemble contre la pandémie.

Lu sur Syfia Info