OSLO (Reuters) – Le prix Nobel de la paix 2011 a été conjointement attribué vendredi à trois femmes, Ellen Johnson-Sirleaf, la présidente du Libéria, Leymah Gbowee, elle aussi libérienne, et à la Yéménite Tawakkul Karman pour leur lutte non violente pour la sécurité et les droits des femmes.

    

Ellen Johnson-Sirleaf est la première femme à avoir été élue présidente d’un Etat africain. Agée de 72 ans, elle briguera mardi un deuxième mandat.

Sa compatriote Leymah Gbowee est récompensée pour son travail de mobilisation et d’organisation des femmes de toutes ethnies et de toutes religions pour mettre fin à la guerre civile qui a déchiré le Liberia dans les années 1990 et garantir la participation des femmes aux élections.

Avec la Yéménite Tawakkul Karman, le comité Nobel distingue une femme qui a oeuvré pour la paix, la démocratie et les droits des femmes avant et pendant le « printemps arabe ».

 

Lire l’article sur http://www.bfmtv.com/international/deux-liberiennes-et-une-yemenite-prix-nobel-de-la-paix-2011-189312.html 

(Syfia France) Après une longue et patiente initiation de 20 ans au Sénégal, Yvette Parès, médecin et chercheuse occidentale, est passée à la médecine africaine. Depuis, elle revendique une alliance entre les médecines traditionnelles du monde et la médecine moderne pour mieux affronter les maladies. Parcours d’une pionnière.

En 1980, Yvette Parès, professeur à l’université de Dakar au Sénégal et médecin occidental, récemment initiée à la médecine africaine participe à la création d’une œuvre privée charitable, l’hôpital traditionnel de Keur Massar, en pleine brousse à 25 km de Dakar. Pendant 20 ans, elle y pratique une médecine traditionnelle. En 2004, à l’âge de la retraite et de retour en France, elle publie « La médecine africaine, une efficacité étonnante. Témoignage d’une pionnière ».Comment une scientifique, universitaire, dirigeant un institut de recherche en bactériologie en est-elle venue à pratiquer la médecine africaine ?Ce ne fut pas un coup de tête, une décision subite, une attirance vers l’exotisme. Dans mon laboratoire à Dakar, nous étions parvenus à cultiver le bacille de Hansen, responsable de la lèpre, qui pendant un siècle avait résisté aux efforts de nos devanciers. La méthode des antibiogrammes devenait donc possible… Elle permit de mettre en évidence l’efficacité des extraits de plantes anti-lépreuses sur le bacille. Ces résultats donnaient donc un support à la réputation des thérapeutes traditionnels spécialisés dans la lèpre. D’autre part, la faiblesse des traitements classiques ne pouvait être niée. L’état des malades en attestait avec la plus grande évidence. Je me trouvais donc à la croisée des chemins devant un choix inéluctable : soit accepter la situation telle qu’elle était avec toutes ses déficiences, soit rechercher l’aide et l’enseignement des thérapeutes réputés dans le domaine de la lèpre. J’adoptai la seconde attitude qui représentait un saut dans l’inconnu.

Où se forme-t-on à ces médecines traditionnelles ?

La seule école qui soit, c’est la transmission de maître à disciple. Un maître vous choisit d’après vos aptitudes et ce qu’il juge bon en vous. C’était presque insolent de ma part de demander à être enseignée. En plus, il n’était jamais arrivé qu’une Occidentale soit introduite en médecine africaine. Mais des circonstances exceptionnelles ont fait tourner la roue en ma faveur. À l’époque, j’avais 54 ans, j’étais chercheuse en bactériologie et médecin. La première des choses que mon maître, Dadi Diallo, me demanda d’intégrer, c’est qu’à compter du jour où je devenais son disciple il me considérerait comme ne sachant rien. Au début, je n’avais même pas le droit de poser de questions, mais juste celui de regarder et d’écouter. C’est le maître qui dit ou ne dit pas, après avoir cueilli une plante, son nom, son utilisation, etc. C’est lui qui décide du lieu, du contenu et du rythme des apprentissages. Je me levais à 5 h pour aller cueillir les plantes. La journée, je travaillais à l’université et le soir je retournais au centre de Keur Massar. Il faut 15 ans pour apprendre cette médecine.

En quoi consiste la médecine africaine ?

Comme toutes les médecines traditionnelles du monde, la médecine africaine est sacrée. Ce qui la conduit tout naturellement à traiter le malade considéré dans sa totalité, dans l’unité que forment son corps, son âme, son esprit et pas seulement l’organe malade. Le caractère sacré se manifeste dans toutes les étapes de l’art médical et pharmaceutique. Le thérapeute se considère comme un intermédiaire entre le principe de vie d’ordre divin et le patient. Son rôle est d’orienter et de stimuler les forces de guérison du malade par l’accueil, l’écoute, les soins, les traitements, le réconfort, les prières et les encouragements. De plus, la médecine traditionnelle n’attaque pas un agent pathogène d’une seule manière, mais à l’aide de l’ensemble des substances actives contenues dans une décoction, une extraction ou une macération de plusieurs plantes ou racines différentes, parfois cinquante… Là où la médecine moderne est analytique et attaque le problème avec une seule molécule, la médecine traditionnelle, elle, l’attaque sur plusieurs fronts. Il n’y a pas de risque ainsi de faire apparaître des résistances à l’action combinée de toutes ces plantes. Quel avenir, selon vous, faut-il réserver à ces médecines traditionnelles ? À Keur Massar, au fil du temps, quatre autres thérapeutes d’ethnies différentes et leurs disciples vinrent étoffer l’équipe en même temps que s’élargissaient nos activités avec les consultations externes de médecine générale. À ce jour, plus de 250 000 malades, toutes maladies confondues, ont reçu nos soins. Étant de culture occidentale, je n’ai pu saisir toutes les richesses spirituelles, toutes les richesses thérapeutiques de cette médecine mais ce que j’ai pu découvrir m’a remplie de respect et d’admiration. On a à apprendre de tout le monde. La transmission depuis des millénaires de la médecine traditionnelle ne doit pas s’arrêter. Face au sida, l’Afrique n’est pas le continent démuni que l’on s’obstine à décrire. Les peuples africains ont leur médecine traditionnelle riche de savoirs accumulés et éprouvés au cours des millénaires. Ils ne doivent pas se sous-estimer mais agir avec détermination. Lors de la VIe Journée mondiale du sida (en 1993, Ndlr), le secrétaire général de l’ONU alors en fonction Boutros Boutros-Ghali, n’avait-il pas demandé à New York, au siège de Nations unies, « un effort de coordination étendu à tous les savoirs médicaux de la planète » pour arriver à vaincre le sida. Partout, l’intelligence a inventé une médecine intégrée, adaptée à son environnement. Il faut convier les médecines chinoises, ayurvédiques, amérindiennes, arabes, celle de l’île de Pâques, celles des maîtres africains, ainsi que des moines médecins bouddhistes et toutes les médecines du monde à lutter ensemble contre la pandémie.

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(Syfia Niger) Comme beaucoup d’autres jeunes Africains, Aboubacar Assoumana a longtemps été aveuglé par l’eldorado européen. Sa quête a même failli lui coûter la vie au Maroc. De retour au Niger, il a réussi à se construire un avenir.

Ne parlez plus de l’eldorado européen à Aboubacar Assoumana. « Restez chez vous ! Partout on peut gagner sa vie ; il suffit d’avoir de l’initiative », conseille-t-il régulièrement à ses camarades qui rêvent d’aller clandestinement sur le Vieux continent. Aujourd’hui, Aboubacar a quatre employés dans son restaurant de Niamey.
Ce jeune à l’allure athlétique n’a pas toujours tenu le même discours. En 2003, il quitte la capitale nigérienne. Âgé alors de 29 ans, il n’a qu’un objectif en tête : faire fortune en Europe. Détenteur d’un baccalauréat et d’un passeport sans visa, il transite par Agadez au nord du pays, puis passe par l’Algérie où sa carte d’étudiant lui facilite la traversée. Cette dernière dure six mois, entrecoupée de petits travaux domestiques pour gagner de quoi continuer l’aventure. « Les passeurs demandent moins d’argent aux étudiants. À chaque contrôle policier, je présentais ma carte, en expliquant que je voulais m’inscrire dans une université algérienne. Les obstacles ont commencé au Maroc. J’y ai perdu ma carte et les contrôles policiers sont sévères », raconte-t-il.
À Tinghir, une bourgade du Sud-est marocain, à environ 600 km de Rabat, la capitale, Assoumana passe ses nuits dans la rue, au froid. Il se nourrit de morceaux de pain quémandés à droite et à gauche. Il rencontre alors un Marocain de 45 ans, surnommé Abass qui devient son patron. Ce marchand de produits de contrebande se montre très accueillant dans un premier temps… « Il m’a offert un toit, de quoi manger et quelques dirhams pour mes petites dépenses. Pour mon salaire, il avait promis de payer au bout de six mois l’argent de ma traversée du détroit de Gibraltar. Il devait aussi me donner les contacts de ses amis en Europe », raconte-t-il, le cœur serré.

Morts sur la route de l’Europe
Assoumana transporte et livre de petits paquets pour Abass. Au début, il en ignore le contenu. Puis, il découvre qu’ils contiennent du chanvre indien. « Je ne me suis pas découragé ; le plus important pour moi était d’aller en Europe, quel qu’en soit le prix… », se souvient-il. Un jour, à l’aube, il est tiré de son sommeil par une pluie de coups. Ces agresseurs appartiennent à une bande rivale de dealers. « J’ai réussi à ouvrir les yeux. Les coups se sont arrêtés. J’ai entendu l’un d’eux dire, ‘laissez-le, la prochaine fois nous le tuerons.' »
Il passe une journée à demi mort, baignant dans son sang. Jamais, son patron ne viendra à son secours. Une Sénégalaise dans la cinquantaine, mariée à un Marocain qui habite la maison d’en face, le soigne. « Quand j’ai eu repris mes forces, elle m’a donné de l’argent et m’a conseillé de rentrer au Niger, car elle connaissait beaucoup de jeunes comme moi morts sur la route de l’Europe. » Assoumana suit le conseil avisé de cette femme qui lui a sauvé la vie. « J’ai appris par la suite qu’elle avait tenté autrefois à plusieurs reprises d’entrer en Europe. Elle s’est ensuite installée et mariée à Tinghir. »
Assoumana rentre sans trop de difficultés chez lui, bénéficiant de la solidarité de compatriotes vivant en Algérie. Il ouvre ensuite son restaurant à Niamey, grâce au prêt d’une de ses tantes. « En guise de souvenir aux souffrances vécues, je l’ai appelé Le Parisien », dit-il à qui veut l’entendre. Son rêve de l’eldorado européen est pourtant bel et bien derrière lui : « Je gagne ma vie honnêtement ici. Je n’ai plus envie d’aller là-bas. »

Lu sur Syfia Info

Le gouvernement mondial d’internet est réuni  à Singapour cette semaine pour les besoins de sa 41ème session. L’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN) est une organisation de droit privé à but non lucratif. Son personnel et ses participants viennent du monde entier.  L’ICANN a pour mission de préserver la stabilité opérationnelle d’Internet, de promouvoir la concurrence, d’assurer une représentation globale des communautés Internet, et d’élaborer une politique correspondant à sa mission suivant une démarche consensuelle ascendante. L’ICANN est chargée de coordonner la gestion des éléments techniques du DNS Le système de nom de domaine (Domain Name System – DNS) aide les utilisateurs à naviguer sur Internet. Chaque ordinateur relié à Internet a une adresse unique appelée “adresse IP” (adresse de protocole Internet). Étant donné que les adresses IP (qui sont des séries de chiffres) sont difficiles à mémoriser, le DNS permet d’utiliser à la place une série de lettres familières (le “nom de domaine”). Par exemple, au lieu de taper “192.0.34.163,” vous pouvez taper “www.icann.org.” Le DNS transfère le nom de domaine que vous tapez dans l’adresse IP correspondante et vous connecte au site web recherché. Le DNS permet également le bon fonctionnement du courrier électronique, de sorte que le courriel que vous envoyez atteint son destinataire.

L’ICANN est gouvernée par un conseil d’administration de composition internationale qui supervise le processus d’élaboration des politiques. Le président de l’ICANN dirige une équipe internationale qui veille à ce que l’ICANN honore ses engagements opérationnels à l’égard de la communauté Internet. Des ressortissants de nombreux pays ont siégé au conseil d’administration de l’ICANN, parmi lesquels l’Allemagne, l’Australie, le Brésil, la Bulgarie, le Canada, la Chine, la Corée, l’Espagne, les États-Unis, la France, le Ghana, le Japon, le Kenya, le Mexique, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni et le Sénégal qui a été longtemps représenté par notre compatriote Mouhamed DIOP patron de Next –Kheweul.

La réunion de Singapour a vu le Sénégal honoré par la confirmation de la tenue de la 42ème réunion d’ICANN dans notre pays du 23 au 28 Octobre prochain. Le seul pays à disposer d’un stand ici à Singapour, le Sénégal est représenté par le Ministère de la communication avec Madame Maimouna Diagne Directrice des TIC assistée de Adama Sow et de Khoudia Gueye Sy de l’Ucad, par une forte équipe de l’ARTP conduite par son DG Ndongo Diaw comprenant Seni Faty et Ibrahima Kandji et par Modou Sall  de la Sonatel. En compétition avec d’autres grands pays d’Afrique comme l’Afrique du Sud, le Sénégal a fini de remporter haut la main le redoutable honneur d’accueillir le gouvernement mondial d’Internet en octobre. L’enthousiasme et la ruée vers le stand sénégalais des centaines de participants montrent à quel point notre pays est plébiscité.

Mamadou DIA

Lu sur SENEWEB

(AfriSCOOP) — C’est l’une de ces informations que les Africains ont envie d’écouter, plus souvent, sur leur continent et qui démontre que le continent berceau de l’humanité bouge ; malgré le misérabilisme dont il est l’objet généralement dans la presse internationale. Il s’agit de la mise en vente de la « première tablette tactile africaine ».Dans un mois, la « première tablette tactile africaine » sera mise à la disposition de tous les consommateurs d’un tel produit en Afrique, a appris « Afriscoop ». Œuvre d’un jeune programmeur congolais (de Brazzaville) du nom de Vérone Mankou, 25 ans, la multiplication du prototype devrait s’effectuer dans l’Empire du milieu.

« Cette première tablette tactile africaine que j’ai conçue sera commercialisée dans un mois environ, le financement est presque acquis pour sa production en Chine, l’Afrique ne disposant pas d’infrastructures appropriées », a expliqué le jeune inventeur, chez nos confrères de Xinhua.L’œuvre de Vérone Mankou sera présentée au grand public lors du « Africa Web Summit » (à Brazzaville) qui se tiendra du 17 au 18 septembre prochain. Cette rencontre internationale dédiée aux applications des Tic (Technologies de l’information et de la communication) est organisée par les spécialistes congolais des Tic et réunira des experts de cette thématique provenant des quatre coins du monde.A travers « Africa Web Summit », le Congo-Brazzaville veut apporter sa marque de fabrique à la réduction du fossé numérique entre pays pauvres et riches de la planète.

 

Ahmed Agne

Sénégalais d’origine, Ahmed Agne vit en France. Créateur de la maison d’éditions de Mangas «Ki-oon», il vient de se hisser en 7 ans au premier rang des éditeurs indépendants français. Parlant couramment le japonais, Ahmed Agne définit sa ligne de bandes dessinées comme très structurée avec du thriller, du fantastique, des contes pour enfants, des fresques sociales, entre autres.

Né il y a 34 ans d’un père sénégalais et d’une mère mauritanienne, tous les deux peuls, Ahmed Agne qui vit en France a monté, en 2003, une maison d’éditions de mangas, rapport le site de Rfi. Passionné de bandes dessinées, Ahmed Agne s’est hissé en seulement 7 ans dans le milieu au premier rang des éditeurs indépendants français avec sa maison d’éditions «Ki-oon».

Lire l’article sur http://www.seneweb.com/news/Culture/bandes-dessinees-ahmed-agne-ce-senegalais-classe-en-tete-des-editeurs-en-france_n_50373.html

D’une finesse rare, cette artiste complète enchante les consciences d’une Afrique moderne sur fond de légendes du passé.

Fatoumata Diawara le 9 juillet 2011
Fatoumata Diawara est assurément une jolie fille. Elle possède la grâce féline de ces êtres surnaturels qui peuplent les légendes. D’ailleurs n’a-t-elle pas fait partie plusieurs mois de la «fabuloserie» à succès de la comédie musicale «Kirikou et Karaba»?Pourtant, il y a quelque chose de très déterminé dans le fond de son regard, quelque chose qui rend curieux d’elle et empêche de se contenter de sa beauté, aussi rayonnante soit-elle. Il y aussi ce zeste de malice qui semble affleurer de son sourire…Fatoumata Diawara est née en Côte d’Ivoire, a grandi au Mali et vit aujourd’hui en France, à Paris.

«Mes parents me trouvaient trop canaille, dit-elle en lançant un clin d’œil. Ils m’ont envoyée à la famille, auMali et c’est là que j’ai commencé à apprendre ce qui fait notre culture: celle de la région du Wassoulou. Les voix des femmes, les instruments traditionnels, le style musical, tout me plaisait. Je ne risquais pas de m’assagir!»

Lire l’article sur http://www.slateafrique.com/44011/fatoumata-diawara-elegante-delicatesse-vocale

Les Sénégalais, parmi les plus anciens immigrés africains de Harlem, ne sont pas peu fiers d’avoir contribué à la réhabilitation de la capitale de l’Amérique noire.

Sur le trottoir, assis sur des chaises en plastique, devant les magasins qu’ils tiennent sur la 116e rue, des Sénégalais en boubous et baskets refont l’Amérique et le Sénégal. Ces temps-ci, il est beaucoup question de politique sénégalaise, et les esprits s’échauffent vite. Certains s’engouffrent parfois dans une boutique pour suivre le dernier bulletin d’informations de la Radio-télévision du Sénégal (RTS).

Ici, au cœur de Harlem, sur la rue où a été construite la mosquée Malcom Shabazz, emblème de l’islam noir américain, on est comme à Dakar. Les Sénégalais, les premiers à avoir émigré dans ce quartier new-yorkais à la fin des années 1980, ont reproduit leur mode de vie. Un communautarisme auquel la nation américaine, fondée par des immigrants, ne trouve rien à redire.

Lire l’article sur http://www.slateafrique.com/14205/new-york-little-senegal-la-communaute-qui-fait-bouger-harlem

 

A l’occasion du 48ème anniversaire de la Marche sur Washington (dimanche 28 août 1963) Samuel Légitimus (acteur metteur en scène et responsable du Collectif James Baldwin de Paris) vous lit le discours emblématique donné ce jour-là par le Dr King dans son intégralité et dans sa version française.

« JE FAIS UN RÊVE »/  » I HAVE A DREAM  »

Texte de Martin Luther King, célèbre discours, prononcé en août 1963, à Washington, lors d’une marche contre la ségrégation raciale aux États-Unis, est l’un des symboles de la lutte pour l’égalité des droits.

 

« Je suis heureux de participer avec vous aujourd’hui à ce rassemblement qui restera dans l’histoire comme la plus grande manifestation que notre pays ait connu en faveur de la liberté.

Il y a un siècle de cela, un grand américain qui nous couvre aujourd’hui de son ombre symbolique signait notre acte d’émancipation. Cette proclamation historique faisait, comme un grand phare, briller la lumière de l’espérance aux yeux de millions d’esclaves noirs marqués au feu d’une brûlante injustice. Ce fut comme l’aube joyeuse qui mettrait fin à la longue nuit de leur captivité.

Mais cent ans ont passé et le Noir n’est pas encore libre. Cent ans ont passé et l’existence du Noir est toujours tristement entravée par les liens de la ségrégation, les chaînes de la discrimination; cent ans ont passé et le Noir vit encore sur l’île solitaire de la pauvreté, dans un vaste océan de prospérité matérielle; cent ans ont passé et le Noir languit toujours dans les marches de la société américaine et se trouve en exil dans son propre pays.

C’est pourquoi nous sommes accourus aujourd’hui en ce lieu pour rendre manifeste cette honteuse situation. En ce sens, nous sommes montés à la capitale de notre pays pour toucher un chèque. En traçant les mots magnifiques qui forment notre constitution et notre déclaration d’indépendance, les architectes de notre république signaient une promesse dont héritait chaque Américain. Aux termes de cet engagement, tous les hommes, les Noirs, oui, aussi bien que les Blancs, se verraient garantir leurs droits inaliénables à la vie, à la liberté et à la recherche du bonheur.

Il est aujourd’hui évident que l’Amérique a failli à sa promesse en ce qui concerne ses citoyens de couleur. Au lieu d’honorer son obligation sacrée, l’Amérique a délivré au peuple noir un chèque sans valeur; un chèque qui est revenu avec la mention « Provisions insuffisantes ». Nous ne pouvons croire qu’il n’y ait pas de quoi honorer ce chèque dans les vastes coffres de la chance en notre pays. Aussi sommes nous venus encaisser ce chèque, un chèque qui nous fournira sur simple présentation les richesses de la liberté et la sécurité de la justice.

Nous sommes également venus en ce lieu sanctifié pour rappeler à l’Amérique les exigeantes urgences de l’heure présente. Il n’est plus temps de se laisser aller au luxe d’attendre ni de pendre les tranquillisants des demi-mesures. Le moment est maintenant venu de réaliser les promesses de la démocratie; le moment est venu d’émerger des vallées obscures et désolées de la ségrégation pour fouler le sentier ensoleillé de la justice raciale; le moment est venu de tirer notre nation des sables mouvants de l’injustice raciale pour la hisser sur le roc solide de la fraternité; le moment est venu de réaliser la justice pour tous les enfants du Bon Dieu. Il serait fatal à notre nation d’ignorer qu’il y a péril en la demeure. Cet étouffant été du légitime mécontentement des Noirs ne se terminera pas sans qu’advienne un automne vivifiant de liberté et d’égalité.

1963 n’est pas une fin mais un commencement. Ceux qui espèrent que le Noir avait seulement besoin de laisser fuser la vapeur et se montrera désormais satisfait se préparent à un rude réveil si le pays retourne à ses affaires comme devant.

Il n’y aura plus ni repos ni tranquillité en Amérique tant que le Noir n’aura pas obtenu ses droits de citoyen.

Les tourbillons de la révolte continueront d’ébranler les fondations de notre nation jusqu’au jour où naîtra l’aube brillante de la justice.

Mais il est une chose que je dois dire à mon peuple, debout sur le seuil accueillant qui mène au palais de la justice : en nous assurant notre juste place, ne nous rendons pas coupables d’agissements répréhensibles.

Ne cherchons pas à étancher notre soif de liberté en buvant à la coupe de l’amertume et de la haine. Livrons toujours notre bataille sur les hauts plateaux de la dignité et de la discipline. Il ne faut pas que notre revendication créatrice dégénère en violence physique. Encore et encore, il faut nous dresser sur les hauteurs majestueuses où nous opposerons les forces de l’âme à la force matérielle.

Le merveilleux militantisme qui s’est nouvellement emparé de la communauté noire ne doit pas nous conduire à nous méfier de tous les Blancs. Comme l’atteste leur présence aujourd’hui en ce lieu, nombre de nos frères de race blanche ont compris que leur destinée est liée à notre destinée. Ils ont compris que leur liberté est inextricablement liée à notre liberté. L’assaut que nous avons monté ensemble pour emporter les remparts de l’injustice doit être mené par une armée biraciale. Nous ne pouvons marcher tout seuls au combat. Et au cours de notre progression, il faut nous engager à continuer d’aller de l’avant ensemble. Nous ne pouvons pas revenir en arrière. Il en est qui demandent aux tenants des droits civiques : « Quand serez vous enfin satisfaits ? » Nous ne pourrons jamais être satisfaits tant que le Noir sera victime des indicibles horreurs de la brutalité policière.

Nous ne pourrons jamais être satisfaits tant que nos corps recrus de la fatigue du voyage ne trouveront pas un abris dans les motels des grand routes ou les hôtels des villes. Nous ne pourrons jamais être satisfaits tant que la liberté de mouvement du Noir ne lui permettra guère que d’aller d’un petit ghetto à un ghetto plus grand.

Nous ne pourrons jamais être satisfaits tant que nos enfants seront dépouillés de leur identité et privés de leur dignité par des pancartes qui indiquent : « Seuls les Blancs sont admis. » Nous ne pourrons être satisfaits tant qu’un Noir du Mississippi ne pourra pas voter et qu’un Noir de New York croira qu’il n’a aucune raison de voter. Non, nous ne sommes pas satisfaits, et nous ne serons pas satisfaits tant que le droit ne jaillira pas comme les eaux et la justice comme un torrent intarissable.

Je n’ignore pas que certains d’entre vous ont été conduits ici par un excès d’épreuves et de tribulations. D’aucuns sortent à peine de l’étroite cellule d’une prison. D’autres viennent de régions où leur quête de liberté leur a valu d’être battus par les tempêtes de la persécution, secoués par les vents de la brutalité policière. Vous êtes les pionniers de la souffrance créatrice. Poursuivez votre tache, convaincus que cette souffrance imméritée vous sera rédemption.

Retournez au Mississippi; retournez en Alabama; retournez en Caroline du Sud; retournez en Géorgie; retournez en Louisiane, retournez à vos taudis et à vos ghettos dans les villes du Nord, en sachant que, d’une façon ou d’une autre cette situation peut changer et changera. Ne nous vautrons pas dans les vallées du désespoir.

Je vous le dis ici et maintenant, mes amis : même si nous devons affronter des difficultés aujourd’hui et demain, je fais pourtant un rêve. C’est un rêve profondément ancré dans le rêve américain. Je rêve que, un jour, notre pays se lèvera et vivra pleinement la véritable réalité de son credo : « Nous tenons ces vérités pour évidentes par elles-mêmes que tous les hommes sont créés égaux. »

Je rêve que, un jour, sur les rouges collines de Géorgie, les fils des anciens esclaves et les fils des anciens propriétaires d’esclaves pourront s’asseoir ensemble à la table de la fraternité.

Je rêve que, un jour, l’État du Mississippi lui-même, tout brûlant des feux de l’injustice, tout brûlant des feux de l’oppression, se transformera en oasis de liberté et de justice.

Je rêve que mes quatre petits enfants vivront un jour dans un pays où on ne les jugera pas à la couleur de leur peau mais à la nature de leur caractère. Je fais aujourd’hui un rêve !

Je rêve que, un jour, même en Alabama où le racisme est vicieux, où le gouverneur a la bouche pleine des mots « interposition » et « nullification », un jour, justement en Alabama, les petits garçons et petites filles noirs, les petits garçons et petites filles blancs, pourront tous se prendre par la main comme frères et sœurs. Je fais aujourd’hui un rêve !

Je rêve que, un jour, tout vallon sera relevé, toute montagne et toute colline seront rabaissés, tout éperon deviendra une pleine, tout mamelon une trouée, et la gloire du Seigneur sera révélée à tous les êtres faits de chair tout à la fois.

Telle est mon espérance. Telle est la foi que je remporterai dans le Sud.

Avec une telle foi nous serons capables de distinguer, dans les montagnes de désespoir, un caillou d’espérance. Avec une telle foi nous serons capables de transformer la cacophonie de notre nation discordante en une merveilleuse symphonie de fraternité.

Avec une telle foi, nous serons capables de travailler ensemble, de prier ensemble, de lutter ensemble, d’aller en prison ensemble, de nous dresser ensemble pour la liberté, en sachant que nous serons libres un jour. Ce sera le jour où les enfants du Bon Dieu pourront chanter ensemble cet hymne auquel ils donneront une signification nouvelle -« Mon pays c’est toi, douce terre de liberté, c’est toi que je chante, pays où reposent nos pères, orgueil du pèlerin, au flanc de chaque montagne que sonne la cloche de la liberté »- et si l’Amérique doit être une grande nation, il faut qu’il en soit ainsi.

Aussi faites sonner la cloche de la liberté sur les prodigieux sommets du New Hampshire.

Faites la sonner sur les puissantes montagnes de l’État de New York.

Faites la sonner sur les hauteurs des Alleghanys en Pennsylvanie.

Faites la sonner sur les neiges des Rocheuses, au Colorado.

Faites la sonner sur les collines ondulantes de la Californie.

Mais cela ne suffit pas.

Faites la sonner sur la Stone Mountain de Géorgie.

Faites la sonner sur la Lookout Mountain du Tennessee.

Faites la sonner sur chaque colline et chaque butte du Mississippi, faites la sonner au flanc de chaque montagne.

Quand nous ferons en sorte que la cloche de la liberté puisse sonner, quand nous la laisserons carillonner dans chaque village et chaque hameau, dans chaque État et dans chaque cité, nous pourrons hâter la venue du jour où tous les enfants du Bon Dieu, les Noirs et les Blancs, les juifs et les gentils, les catholiques et les protestants, pourront se tenir par la main et chanter les paroles du vieux « spiritual » noir : « Libres enfin. Libres enfin. Merci Dieu tout-puissant, nous voilà libres enfin.  » »

Source: Martin Luther King – 1963

J.M.G. Le Clézio : Dans la forêt des paradoxes

Discours

Conférence Nobel

Le 7 décembre 2008

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Pourquoi écrit-on ? J’imagine que chacun a sa réponse à cette simple question. Il y a les prédispositions, le milieu, les circonstances. Les incapacités aussi. Si l’on écrit, cela veut dire que l’on n’agit pas. Que l’on se sent en difficulté devant la réalité, que l’on choisit un autre moyen de réaction, une autre façon de communiquer, une distance, un temps de réflexion.

Si j’examine les circonstances qui m’ont amené à écrire – je ne le fais pas par complaisance, mais par souci d’exactitude – je vois bien qu’au point de départ de tout cela, pour moi, il y a la guerre. La guerre, non pas comme un grand moment bouleversant où l’on vit des heures historiques, par exemple la campagne de France relatée des deux côtés du champ de bataille de Valmy, par Goethe du côté allemand et par mon ancêtre François du côté de l’armée révolutionnaire. Ce doit être exaltant, pathétique. Non, la guerre pour moi, c’est celle que vivaient les civils, et surtout les enfants très jeunes. Pas un instant elle ne m’a paru un moment historique. Nous avions faim, nous avions peur, nous avions froid, c’est tout. Je me souviens d’avoir vu passer sous ma fenêtre les troupes du maréchal Rommel remontant les Alpes à la recherche d’un passage vers le nord de l’Italie et l’Autriche. Cela ne m’a pas laissé un souvenir très marquant. En revanche, dans les années qui ont suivi la guerre, je me souviens d’avoir manqué de tout, et particulièrement de quoi écrire et de quoi lire. Faute de papier et de plume à encre, j’ai dessiné et j’ai écrit mes premiers mots sur l’envers des carnets de rationnement, en me servant d’un crayon de charpentier bleu et rouge. Il m’en est resté un certain goût pour les supports rêches et pour les crayons ordinaires. Faute de livres pour enfants, j’ai lu les dictionnaires de ma grand-mère. C’étaient de merveilleux portiques pour partir à la reconnaissance du monde, pour vagabonder et rêver devant les planches d’illustrations, les cartes, les listes de mots inconnus. Le premier livre que j’ai écrit, à l’âge de six ou sept ans, du reste s’intitulait Le Globe à mariner. Suivi tout de suite par la biographie d’un roi imaginaire appelé Daniel III – peut-être était-il de Suède ? Et par un récit raconté par une mouette. C’était une période de réclusion. Les enfants n’avaient guère la liberté d’aller jouer dehors, car les terrains et les jardins autour de chez ma grand-mère avaient été minés. Au hasard des promenades, je me souviens d’avoir longé un enclos de barbelés au bord de la mer, sur lequel un écriteau en français et en allemand menaçait les intrus d’une interdiction accompagnée d’une tête de mort.

Je peux comprendre que c’était un contexte où l’on avait le désir de s’enfuir – donc de rêver et d’écrire ces rêves. En outre, ma grand-mère maternelle était une extraordinaire conteuse, qui réservait aux longues heures d’après-midi le temps des histoires. Ses contes étaient toujours très imaginatifs, et mettaient en scène une forêt – peut-être africaine, ou peut-être la forêt mauricienne de Macchabée – dont le personnage principal était un singe doué de malice, qui se sortait toujours des situations les plus

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périlleuses. Par la suite, j’ai fait un voyage et un séjour en Afrique, où j’ai découvert la forêt véritable, à peu près dépourvue d’animaux. Mais un D.O. du village d’Obudu, à la frontière des Camerouns, m’a fait écouter le crépitement des gorilles sur une colline voisine, en train de frapper leurs poitrines. De ce voyage, de ce séjour (au Nigéria où mon père était médecin de brousse) j’ai rapporté non pas la matière de romans futurs, mais une sorte de seconde personnalité, à la fois rêveuse et fascinée par le réel, qui m’a accompagné toute ma vie – et qui a été la dimension contradictoire, l’étrangeté moi-même que j’ai ressentie parfois jusqu à la souffrance. La lenteur de la vie est telle qu’il m’aura fallu la durée de la majeure partie de cette existence pour comprendre ce que cela signifie.

Les livres sont entrés dans ma vie un peu plus tard. C’était sous la forme de plusieurs bibliothèques que mon père avait réussi à réunir et qui provenaient de la dispersion de son héritage lorsqu’il avait été expulsé de sa maison natale à Moka (Ile Maurice). C’est alors que j’ai compris cette vérité qui n’apparaît pas immédiatement aux enfants, à savoir que les livres sont un trésor plus précieux que les biens immeubles ou que les comptes en banque. C’est dans ces volumes, la plupart anciens et reliés, que j’ai découvert les grands textes de la littérature universelle, le Don Quijote illustré par Tony Johannot, La vida de Lazarillo de Tormes ; The Ingoldsby Legends, Gulliver’s Travels ; les grands romans inspirés de Victor Hugo, Quatre-vingt Treize, Les Travailleurs de la Mer, ou L’Homme qui rit. Les Contes drôlatiques de Balzac, aussi. Mais les livres qui m’ont le plus marqué, ce sont les collections de récits de voyage, pour la plupart consacrés à l’Inde, à l’Afrique et aux îles Masacareignes, ainsi que les grands textes d’exploration, de Dumont d’Urville ou de l’Abbé Rochon, de Bougainville, de Cook, et bien sûr le Livre des Merveilles de Marco Polo. Dans la vie médiocre d’une petite bourgade de province endormie au soleil, après les années de liberté en Afrique, ces livres m’ont donné le goût de l’aventure, ils m’ont permis de pressentir la grandeur du monde réel, de l’explorer par l’instinct et par les sens plutôt que par les connaissances. D’une certaine façon ils m’ont permis de ressentir très tôt la nature contradictoire de la vie d’ enfant, qui garde un refuge où il peut oublier la violence et la compétition, et prendre son plaisir à regarder la vie extérieure par le carré de sa fenêtre.

Dans les instants qui ont précédé l’annonce, pour moi très étonnante, de la distinction que m’octroyait l’Académie de Suède, j’étais en train de relire un petit livre de Stig Dagerman que j’aime particulièrement : la collection de textes politiques intitulée Essäer och texter (La Dictature du Chagrin). Ce n’était par hasard que je me replongeais dans la lecture de ce livre caustique et amer. Je devais me rendre en Suède pour y recevoir le prix que l’association des amis de Dagerman m’avait donné l’été passé, afin de rendre visite aux lieux de l’enfance de cet écrivain. J’ai toujours été sensible à l’écriture de Dagerman, à ce mélange de tendresse juvénile, de naïveté et de

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sarcasme. À son idéalisme. À la clairvoyance avec laquelle il juge son époque troublée de l’après-guerre, pour lui le temps de la maturité, pour moi celui de mon enfance. Une phrase en particulier m’a arrêté, et m’a semblée s’adresser à moi dans cet instant précis – alors que je venais de publier un roman intitulé Ritournelle de la Faim. Cette phrase, ou plutôt ce passage, le voici : « Comment est-il possible par exemple de se comporter, d’un côté comme si rien au monde n’avait plus d’importance que la littérature, alors que de l’autre il est impossible de ne pas voir alentour que les gens luttent contre la faim et sont obligés de considérer que le plus important pour eux, c’est ce qu’ils gagnent à la fin du mois ? Car il (l’écrivain) bute sur un nouveau paradoxe : lui qui ne voulait écrire que pour ceux qui ont faim découvre que seuls ceux qui ont assez à manger ont loisir de s’apercevoir de son existence. » (L’écrivain et la conscience)

Cette « forêt de paradoxes », comme l’a nommé Stig Dagerman, c’est justement le domaine de l’écriture, le lieu dont l’artiste ne doit pas chercher à s’échapper, mais bien au contraire dans lequel il doit « camper » pour en reconnaître chaque détail, pour explorer chaque sentier, pour donner son nom à chaque arbre. Ce n’est pas toujours un séjour agréable. Lui qui se croyait à l’abri, elle qui se confiait à sa page comme à une amie intime et indulgente, les voici confrontés au réel, non pas seulement comme observateurs, mais comme des acteurs. Il leur faut choisir leur camp, prendre des distances. Cicéron, Rabelais, Condorcet, Rousseau, Madame de Staël, ou bien plus récemment Soljenitsyne ou Hwang Seok-yong, Abdelatif Laâbi ou Milan Kundera ont eu à prendre la route de l’exil. Pour moi qui ai toujours connu – sauf durant la brève période de la guerre – la possibilité de mouvement, l’interdiction de vivre dans le lieu qu’on a choisi est aussi inacceptable que la privation de liberté.

Mais cette liberté de bouger comme un privilège a pour conséquence le paradoxe. Voyez l’arbre aux épines hérissées au sein de la forêt qu’habite l’écrivain : cet homme, cette femme occupés à écrire, à inventer leurs songes, ne sont-ils pas les membres d’une très heureuse et réduite happy few ? Imaginons une situation extrême, terrifiante – celle-là même que vit le plus grand nombre sur notre planète. Celle qu’ont vécue jadis, au temps d’Aristote ou au temps de Tolstoï, les inqualifiables – les serfs, serviteurs, vilains de l’Europe au Moyen-Âge, ou peuples razziés au temps des Lumières sur la côte d’Afrique, vendus à Gorée, à El Mina, à Zanzibar. Et aujourd’hui même, à l’heure que je vous parle, tous ceux qui n’ont pas droit à la parole, qui sont de l’autre côté du langage. C’est la pensée pessimiste de Dagerman qui m’envahit plutôt que le constat militant de Gramsci ou le pari désabusé de Sartre. Que la littérature soit le luxe d’une classe dominante, qu’elle se nourrisse d’idées et d’images étrangères au plus grand nombre, cela est à l’origine du malaise que chacun de nous éprouve – je m’adresse à ceux qui lisent et écrivent. L’on pourrait être tenté de porter cette parole à ceux qui en sont exclus, les inviter généreusement au banquet de la culture. Pourquoi est-ce si

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difficile ? Les peuples sans écriture, comme les anthropologues se sont plu à les nommer, sont parvenus à inventer une commun- ication totale, au moyen des chants et des mythes. Pourquoi est-ce devenu aujourd’hui impossible dans notre société industrialisée ? Faut-il réinventer la culture ? Faut-il revenir à une communication immédiate, directe ? On serait tenté de croire que le cinéma joue ce rôle aujourd’hui, ou bien la chanson populaire, rythmée, rimée, dansée. Le jazz peut-être, ou sous d’autres cieux, le calypso, le maloya, le sega.

Le paradoxe ne date pas d’hier. François Rabelais, le plus grand écrivain de langue française, partit jadis en guerre contre le pédantisme des gens de la Sorbonne en jetant à leur face les mots saisis dans la langue populaire. Parlait-il pour ceux qui ont faim ? Débordements, ivresses, ripailles. Il mettait en mots l’extraordinaire appétit de ceux qui se nourrissaient de la maigreur des paysans et des ouvriers, pour le temps d’une mascarade, d’un monde à l’envers. Le paradoxe de la révolution, comme l’épique chevauchée du chevalier à la triste figure, vit dans la conscience de l’écrivain. S’il y a une vertu indispensable à sa plume, c’est qu’elle ne doive jamais servir à la louange des puissants, fût-ce du plus léger chatouillis. Et pourtant, même dans la pratique de cette vertu, l’artiste ne doit pas se sentir lavé de tout soupçon. Sa révolte, son refus, ses imprécations restent d’un certain côté de la barrière, du côté de la langue des puissants. Quelques mots, quelques phrases s’échappent. Mais le reste ? Un long palimpseste, un atermoiement élégant et distant. L’humour, parfois, qui n’est pas la politesse du désespoir mais la désespérance des imparfaits, la plage où le courant tumultueux de l’injustice les abandonne.

Alors, pourquoi écrire ? L’écrivain, depuis quelque temps déjà, n’a plus l’outrecuidance de croire qu’il va changer le monde, qu’il va accoucher par ses nouvelles et ses romans un modèle de vie meilleur. Plus simplement, il se veut témoin. Voyez cet autre arbre dans la forêt des paradoxes. L’écrivain se veut témoin, alors qu’il n’est, la plupart du temps, qu’un simple voyeur.

Témoin, il arrive que l’artiste le soit : Dante dans La Divina Commedia, Shakespeare dans The Tempest – et Césaire dans la magnifique reprise de cette pièce, appelée Une Tempête, dans laquelle Caliban, à cheval sur un baril de poudre, menace d’emmener avec lui dans la mort ses maîtres détestés. Témoin, il l’est parfois de façon irrécusable, comme Euclides da Cunha dans Os Sertões, ou comme Primo Levi. L’absurde du monde est dans Der Prozess (ou dans les films de Chaplin), son imperfection dans La Naissance du jour de Colette, sa fantasmagorie dans la chanson irlandaise que Joyce a mise en scène dans Finnegans Wake. Sa beauté brille d’un éclat irrésistible dans The Snow Leopard de Peter Matthiessen ou dans A Sand County Almanach d’Aldo Leopold. Sa méchanceté dans Sanctuary de William Faulkner, ou dans Première neige de Lao She. Sa fragilité d’enfance dans Ormen (Le Serpent) de Dagerman.

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L’écrivain n’est jamais un meilleur témoin que lorsqu’il est un témoin malgré lui, à son corps défendant. Le paradoxe, c’est que ce dont il témoigne n’est pas ce qu’il a vu, ni même ce qu’il a inventé. L’amertume, parfois le désespoir, viennent de ce qu’il n’est pas présent au réquisitoire. Tolstoï nous fait voir le malheur que l’armée napoléonienne inflige à la Russie, et pourtant rien n’est changé dans le cours de l’histoire. Mme de Duras écrit Ourika, Harriet Beecher Stowe Uncle Tom’s Cabin, mais ce sont les peuples esclaves qui changent leur propre destin, qui se révoltent et fondent contre l’injustice les résistances marronnes, au Brésil, en Guyane, aux Antilles, et la première république noire en Haïti.

Agir, c’est ce que l’écrivain voudrait par-dessus tout. Agir, plutôt que témoigner. Ecrire, imaginer, rêver, pour que ses mots, ses inventions et ses rêves interviennent dans la réalité, changent les esprits et les coeurs, ouvrent un monde meilleur. Et cependant, à cet instant même, une voix lui souffle que cela ne se pourra pas, que les mots sont des mots que le vent de la société emporte, que les rêves ne sont que des chimères. De quel droit se vouloir meilleur ? Est-ce vraiment à l’écrivain de chercher des issues ? N’est-il pas dans la position du garde champêtre dans la pièce du Knock ou Le Triomphe de la médecine, qui voudrait empêcher un tremblement de terre ? Comment l’écrivain pourrait-il agir, alors qu’il ne sait que se souvenir ?

La solitude sera son lot. Elle l’a toujours été. Enfant, il était cet être fragile, inquiet, réceptif excessivement, cette fille que décrit Colette, qui ne peut que regarder ses parents se déchirer, ses grands yeux noirs agrandis par une sorte d’atttention douloureuse. La solitude est aimante aux écrivains, c’est dans sa compagnie qu’ils trouvent l’essence du bonheur. C’est un bonheur contradictoire, mélange de douleur et de délectation, un triomphe derisoire, un mal sourd et omniprésent, à la manière d’une petite musique obsédante. L’écrivain est l’être qui cultive le mieux cette plante vénéneuse et nécessaire , qui ne croît que sur le sol de sa propre incapacité. Il voulait parler pour tous, pour tous les temps : le voilà, la voici dans sa chambre, devant le miroir trop blanc de la page vide, sous l’abat-jour qui distille une lumière secrète. Devant l’écran trop vif de son ordinateur, à écouter le bruit de ses doigts qui clic-claquent sur les touches. C’est cela, sa forêt. L’écrivain en connaît trop bien chaque sente. Si parfois quelque chose s’en échappe, comme un oiseau levé par un chien à l’aube, c’est sous son regard éberlué – c’était au hasard, c’était malgré lui, malgré elle.

Mais je ne voudrais pas me complaire dans une attitude négative. La littérature – c’est là que je voulais en venir – n’est pas une survivance archaïque à laquelle devrait se substituer logiquement les arts de l’audiovisuel, et particulièrement le cinéma. Elle est une voie complexe, difficile, mais que je crois encore plus nécessaire aujourd’hui qu’au temps de Byron ou de Victor Hugo.

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Il y a deux raisons à cette nécessité : D’abord, parce que la littérature est faite de langage. C’est le sens premier du mot : lettres, c’est-à-dire ce qui est écrit. En France, le mot roman désigne ces écrits en prose qui utilisaient pour la première fois depuis le Moyen Age la langue nouvelle que chacun parlait, la langue romane. La nouvelle vient aussi de cette idée de la nouveauté. A peu près à la même époque, en France l’on a cessé d’utiliser le mot rimeur (de rime) pour parler de poésie et de poètes – du verbe grec poiein, créer. L’écrivain, le poète, le romancier, sont des créateurs . Cela ne veut pas dire qu’ils inventent le langage, cela veut dire qu’ils l’utilisent pour créer de la beauté, de la pensée, de l’image. C’est pourquoi l’on ne saurait se passer d’eux. Le langage est l’invention la plus extraordinaire de l’humanité, celle qui précède tout, partage tout. Sans le langage, pas de sciences, pas de technique, pas de lois, pas d’art, pas d’amour. Mais cette invention, sans l’apport des locuteurs, devient virtuelle. Elle peut s’anémier, se réduire, disparaître. Les écrivains, dans une certaine mesure, en sont les gardiens. Quand ils écrivent leurs romans, leurs poèmes, leur théâtre, ils font vivre le langage. Ils n’utilisent pas les mots, mais au contraire ils sont au service du langage. Ils le célèbrent, l’aiguisent, le transforment, parce que le langage est vivant par eux, à travers eux et accompagne les transformations sociales ou économiques de leur epoque.

Lorsque, au siècle dernier, les théories racistes se sont fait jour, l’on a évoqué les différences fondamentales entre les cultures. Dans une sorte de hiérarchie absurde, l’on a fait correspondre la réussite économique des puissances coloniales avec une soi-disant supériorité culturelle. Ces théories, comme une pulsion fiévreuse et malsaine, de temps à autre ressurgissent ça et là pour justifier le néo-colonialisme ou l’impérialisme. Certains peuples seraient à la traîne, n’auraient pas acquis droit de cité (de parole) du fait de leur retard économique, ou de leur archaïsme technologique. Mais s’est-on avisé que tous les peuples du monde, où qu’ils soient, et quel que soit leur degré de développement, utilisent le langage ? Et chacun de ces langages est ce même ensemble logique, complexe, architecturé, analytique, qui permet d’exprimer le monde – capable de dire la science ou d’inventer les mythes.

Ayant défendu l’existence de cet être ambigu et un peu archaïque qu’est l’écrivain, je voudrais dire la deuxième raison de l’existence de la littérature, car celle-ci touche davantage au beau métier de l’édition.

L’on parle beaucoup de mondialisation aujourd’hui. On oublie que le phénomène a commencé en Europe à la Renaissance, avec le début de l’ère coloniale. La mondialisation n’est pas une mauvaise chose en soi. La communication rend le progrès plus rapide, en médecine, ou en sciences. Peut-être que la généralisation de l’information rendra les conflits plus difficiles. S’il y avait eu internet, il est possible

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que Hitler n’eût pas réussi son complot mafieux – le ridicule l’eût peut-être empêché de naître.

Nous vivons, paraît-il, à l’ère de l’internet et de la communication virtuelle. Cela est bien, mais que valent ces stupéfiantes inventions sans l’enseignement de la langue écrite et sans les livres ? Fournir en écrans à cristaux liquides la plus grande partie de l’humanité relève de l’utopie. Alors ne sommes-nous pas en train de créer une nouvelle élite, de tracer une nouvelle ligne qui divise le monde entre ceux qui ont accès à la communication et au savoir et ceux qui restent les exclus du partage ? De grands peuples, de grandes civilisations ont disparu faute de l’avoir compris. Certes de grandes cultures, que l’on dit minoritaires, ont su résister jusqu’à aujourd’hui, grâce à la transmission orale des savoirs et des mythes. Il est indispensable, il est bénéfique de reconnaître l’apport de ces cultures. Mais que nous le voulions ou non, même si nous ne sommes pas encore à l‘âge du réel, nous ne vivons plus à l’âge du mythe. Il n‘est pas possible de fonder le respect d’autrui et l’égalité sans donner à chaque enfant le bienfait de l’ecriture.

Aujourd’hui, au lendemain de la décolonisation, la littérature est un des moyens pour les hommes et les femmes de notre temps d’exprimer leur identité, de revendiquer leur droit à la parole, et d’être entendus dans leur diversité. Sans leur voix, sans leur appel, nous vivrions dans un monde silencieux.

La culture à l’échelle mondiale est notre affaire à tous. Mais elle est surtout la responsabilité des lecteurs, c’est-à-dire celle des éditeurs. Il est vrai qu’il est injuste qu’un Indien du grand Nord Canadien, pour pouvoir être entendu, ait à écrire dans la langue des conquérants – en Français, ou en Anglais. Il est vrai qu’il est illusoire de croire que la langue créole de Maurice ou des Antilles pourra atteindre la même facilité d’écoute que les cinq ou six langues qui règnent aujourd’hui en maîtresses absolues sur les médias. Mais si, par la traduction, le monde peut les entendre, quelque chose de nouveau et d’optimiste est en train de se produire. La culture, je le disais, est notre bien commun, à toute l’humanité. Mais pour que cela soit vrai, il faudrait que les mêmes moyens soient donnés à chacun, d’accéder à la culture. Pour cela, le livre est, dans tout son archaïsme, l’outil idéal. Il est pratique, maniable, économique. Il ne demande aucune prouesse technologique particulière, et peut se conserver sous tous les climats. Son seul défaut – et là je m’adresse particulièrement aux éditeurs – est d’être encore difficile d’accès pour beaucoup de pays. A Maurice le prix d’un roman ou d’un recueil de poèmes correspond à une part importante du budget d’une famille. En Afrique, en Asie du Sud-Est, au Mexique, en Océanie, le livre reste un luxe inaccessible. Ce mal n’est pas sans remède. La coédition avec les pays en voie de développement, la création de fonds pour les bibliothèques de prêt ou les bibliobus, et d’une façon générale une attention accrue apportée à l’égard des demandes et des écritures dans les langues dites

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minoritaires – très majoritaires en nombre parfois – permettrait à la littérature de continuer d’être ce merveilleux moyen de se connaître soi-même, de découvrir l’autre, d’entendre dans toute la richesse de ses thèmes et de ses modulations le concert de l’humanité.

Il me plaît assez de parler encore de la forêt. C’est sans doute pour cela que la petite phrase de Stig Dagerman résonne dans ma mémoire, pour cela que je veux la lire et la relire, m’en pénétrer. Il y a quelque chose de désespéré en elle, et au même instant de jubilatoire, parce que c’est dans l’amertume que se trouve la part de vérité que chacun cherche. Enfant, je rêvais de cette forêt. Elle m’épouvantait et m’attirait à la fois – je suppose que le petit Poucet, ou Hansel devaient ressentir la même émotion, quand elle se refermait sur eux avec tous ses dangers et toutes ses merveilles. La forêt est un monde sans repères. La touffeur des arbres, l’obscurité qui y règnent peuvent vous perdre. L’on pourrait dire la même chose du désert, ou de la haute mer, lorsque chaque dune, chaque colline s’écarte pour montrer une autre colline, une autre vague parfaitement identiques. Je me souviens de la première fois que j’ai ressenti ce que peut être la littérature – Dans The Call of the Wild, de Jack London, précisément, l’un des personnages, perdu dans la neige, sent le froid l’envahir peu à peu alors que le cercle des loups se referme autour de lui. Il regarde sa main déjà engourdie, et s’efforce de bouger chaque doigt l’un après l’autre. Cette découverte pour l’enfant que j’étais avait quelque chose de magique. Cela s’appelait la conscience de soi.

Je dois à la forêt une de mes plus grandes émotions littéraires de mon âge adulte. Cela se passe il y a une trentaine d’années, dans une région d’Amérique centrale appelée El Tapón de Darien, le Bouchon, parce que c’est là que s’interrompait alors (et je crois savoir que depuis la situation n’a pas changé) la route Panaméricaine qui devait relier les deux Amériques, de l’Alaska à la pointe de la Terre de Feu. L’isthme de Panama, dans cette partie, est couvert d’une forêt de pluie extrêmement dense, dans laquelle il n’est possible de voyager qu’en remontant le cours des fleuves en pirogue. Cette forêt est habitée par une population amérindienne, divisée en deux groupes, les Emberas et les Waunanas, tous deux appartenant à la famille linguistique Ge-Pano-Karib. Etant venu là par hasard, je me suis trouvé fasciné par ce peuple au point d’y faire plusieurs séjours assez longs, pendant environ trois ans. Pendant tout ce temps, je n’ai rien fait d’autre que d’aller à l’aventure, de maison en maison – car ce peuple refusait alors de se grouper en villages – et d’apprendre à vivre selon un rythme entièrement différent de ce que j’avais connu jusque là. Comme toutes les vraies forêts, cette forêt était particulièrement hostile. Il fallait faire l’inventaire de tous les dangers, et aussi de tous les moyens de survie qu’elle comportait. Je dois dire que dans l’ensemble, les Emberas ont été très patients avec moi. Ma maladresse les faisait rire, et je crois que dans une certaine mesure, je leur ai rendu en distraction un peu de ce qu’ils m’ont appris en

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sagesse. Je n’écrivais pas beaucoup. La forêt n’est pas un milieu idéal pour cela. L’humidité détrempe le papier, la chaleur dessèche les crayons à bille. Rien de ce qui marche à l’électricité ne dure très longtemps. J’arrivais là avec la conviction que l’écriture était un privilège, et qu’il me resterait toujours pour résister à tous les problèmes de l’existence. Une protection, en quelque sorte, une espèce de vitre virtuelle que je pouvais remonter à ma guise pour m’abriter des intempéries.

Ayant assimilé le système de communisme primordial que pratiquent les Amérindiens, ainsi que leur profond dégoût pour l’autorité, et leur tendance à une anarchie naturelle, je pouvais imaginer que l’art, en tant qu’expression individuelle, ne pouvait avoir cours dans la forêt. D’ailleurs, rien chez ces gens qui pût ressembler à ce que l’on appelle l’art dans notre société de consommation. Au lieu de tableaux, les hommes et les femmes peignent leur corps, et répugnent de façon générale à construire rien de durable. Puis j’ai eu accès aux mythes. Lorsqu’on parle de mythes, dans notre monde de livres écrits, l’on semble parler de quelque chose de très lointain, soit dans le temps, soit dans l’espace. Je croyais moi aussi à cette distance. Et voilà que les mythes venaient à moi, régulièrement, presque chaque nuit. Près d’un feu de bois construit sur le foyer à trois pierres dans les maisons, dans le ballet des moustiques et des papillons de nuit, la voix des conteurs et des conteuses mettait en mouvement ces histoires, ces légendes, ces récits, comme s’ils parlaient de la réalité quotidienne. Le conteur chantait d’une voix aigüe, en frappant sa poitrine, son visage mimait les expressions, les passions, les inquiétudes des personnages. Cela aurait pu être du roman, et non du mythe. Mais une nuit est arrivée une jeune femme. Son nom était Elvira. Dans toute la forêt des Emberas, Elvira était connue pour son art de conter. C’était une aventurière, qui vivait sans homme, sans enfants – on racontait qu’elle était un peu ivrognesse, un peu prostituée, mais je n’en crois rien – et qui allait de maison en maison pour chanter, moyennant un repas, une bouteille d’alcool, parfois un peu d’argent. Bien que je n’aie eu accès à ses contes que par le biais de la traduction – la langue embera comprend une version littéraire beaucoup plus complexe que la langue de chaque jour – j’ai tout de suite compris qu’elle était une grande artiste, dans le meilleur sens qu’on puisse donner à ce mot. Le timbre de sa voix, le rythme de ses mains frappant ses lourds colliers de pièces d’argent sur sa poitrine, et par-dessus tout cet air de possession qui illuminait son visage et son regard, cette sorte d’emportement mesuré et cadencé, avaient un pouvoir sur tous ceux qui étaient présents. A la trame simple des mythes – l’invention du tabac, le couple des jumeaux originels, histoires de dieux et d’humains venues du fond des temps, elle ajoutait sa propre histoire, celle de sa vie errante, ses amours, les trahisons et les souffrances, le bonheur intense de l’amour charnel, l’acide de la jalousie, la peur de vieillir et de mourir. Elle etait la poésie en action, le théâtre antique, en meme temps que le roman le plus contemporain. Elle était tout cela avec feu, avec violence, elle

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inventait, dans la noirceur de la forêt, parmi le bruit environnant des insectes et des crapauds, le tourbillon des chauves-souris, cette sensation qui n’a pas d’autre nom que la beauté. Comme si elle portait dans son chant la puissance véridique de la nature, et c’était là sans doute le plus grand paradoxe, que ce lieu isolé, cette forêt, la plus éloignée de la sophistication de la littérature, était l’endroit où l’art s’exprimait avec le plus de force et d’authenticité.

Ensuite j’ai quitté ce pays, je n’ai plus jamais revu Elvira, ni aucun des conteurs de la forêt du Darien. Mais il m’est resté beaucoup plus que de la nostalgie, la certitude que la littérature pouvait exister, malgré toute l’usure des conventions et des compromis, malgré l’incapacité dans laquelle les écrivains étaient de changer le monde. Quelque chose de grand et de fort, qui les surpasse, parfois les anime et les transfigure, et leur rend l’harmonie avec la nature. Quelque chose de neuf et de très ancien à la fois, impalpable comme le vent, immatériel comme les nuages, infini comme la mer. Ce quelque chose qui vibre dans la poésie de Jallal Eddine Roumi, par exemple, ou dans l’architecture visionnaire d’Emanuel Swedenborg. Le frisson que l’on éprouve à lire les plus beaux textes de l’humanité, tel le discours que le chef Stealth des Indiens Lumni adressait à la fin du dix-neuvième siècle au Président des Etats-Unis, afin de lui faire don de la terre : « Peut-être sommes nous frères… »

Quelque chose de simple, de vrai, qui n’existe que dans le langage. Une allure, une ruse parfois, une danse grinçante, ou bien de grandes plages de silence. La langue de la moquerie, les interjections, les malédictions, et tout de suite après, la langue du paradis.

C’est à elle, Elvira, que j’adresse cet éloge – à elle que je dédie ce Prix que l’Académie de Suède me remet. À elle, et à tous ces écrivains avec qui – ou parfois contre qui j’ai vécu. Aux Africains, Wole Soyinka, Chinua Achebe, Ahmadou Kourouma, Mongo Beti, à Cry the Beloved Country d’Alan Paton, à Chaka de Tomas Mofolo.. Au très grand Mauricien Malcolm de Chazal, auteur, entre autres de Judas. Au romancier mauricien hindi Abhimanyu Unnuth, pour Lal passina (Sueur de sang), la romancière urdu Hyder Qurratulain pour l’épopée de Ag ka Darya (River of fire). Au Réunionnais Danyèl Waro, le chanteur de maloyas, l’insoumis, à la poétesse kanak Dewé Gorodé qui a défié le pouvoir colonial jusqu’en prison, à Abdourahman Waberi le révolté. À Juan Rulfo, à Pedro Paramo et aux nouvelles du El llano en llamas, aux photos simples et tragiques qu’il a faites dans la campagne mexicaine. À John Reed pour Insurgent Mexico, à Jean Meyer pour avoir porté la parole d’Aurelio Acevedo et des insurgés Cristeros du Mexique central. À Luis González, auteur de Pueblo en vilo. À John Nichols, qui a écrit sur l’âpre pays dans The Milagro Beanfield War, à Henry Roth, mon voisin de la rue New York à Albuquerque (Nouveau Mexique) pour Call it Sleep. À J.P. Sartre, pour les larmes contenues dans sa pièce Morts sans sépulture. À Wilfrid Owen, au poète mort sur les bords de la Marne en 1914. À J.D. Salinger, parce qu’il a réussi à

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nous faire entrer dans la peau d’un jeune garçon de quatorze ans nommé Holden Caufield. Aux écrivains des premières nations de l’Amérique, le Sioux Sherman Alexie, le Navajo Scott Momaday, pour The Names. A Rita Mestokosho, poétesse innue de Mingan (Province de Québec) qui fait parler les arbres et les animaux. À José Maria Arguedas, à Octavio Paz, à Miguel Angel Asturias. Aux poètes des oasis de Oualata, de Chinguetti. Aux grands imaginatifs que furent Alphonse Allais et Raymond Queneau. À Georges Perec pour Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? Aux Antillais Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau, au Haitien René Depestre, à Schwartz-Bart pour Le Dernier des justes. Au poète mexicain Homero Aridjis qui nous glisse dans la vie d’une tortue lyre, et qui parle des fleuves orangés des papillons monarques coulant dans les rues de son village, à Contepec. À Vénus Koury Ghata qui parle du Liban comme d’un amant tragique et invincible. À Khalil Jibran. À Rimbaud. À Emile Nelligan. À Réjean Ducharme, pour la vie.

À l’enfant inconnu que j’ai rencontré un jour, au bord du fleuve Tuira, dans la forêt du Darién. Dans la nuit, assis sur le plancher d’une boutique, éclairé par la flamme d’une lampe à kérosène, il lit un livre et écrit, penché en avant, sans prêter attention à ce qui l’entoure, sans se soucier de l’inconfort, du bruit, de la promiscuité, de la vie âpre et violente qui se déroule à côté de lui. Cet enfant assis en tailleur sur le plancher de cette boutique, au coeur de la forêt, en train de lire tout seul à la flamme de la lampe, n’est pas là par hasard. Il ressemble comme un frère à cet autre enfant dont je parle au commencement de ces pages, qui s’essaie à écrire avec un crayon de charpentier au verso des carnets de rationnement, dans les sombres années de l’après-guerre. Il nous rappelle les deux grandes urgences de l’histoire humaine, auxquelles nous sommes hélas loin d’avoir répondu. L’éradication de la faim, et l’alphabétisation.

Dans tout son pessimisme, la phrase de Stig Dagerman sur le paradoxe fondamental de l’écrivain, insatisfait de ne pouvoir s’adresser à ceux qui ont faim – de nourriture et de savoir – touche à la plus grande vérité. L’alphabétisation et la lutte contre la famine sont liées, étroitement interdépendantes. L’une ne saurait réussir sans l’autre. Toutes deux demandent – exigent aujourd’hui notre action. Que dans ce troisième millénaire qui vient de commencer, sur notre terre commune, aucun enfant, quel que soit son sexe, sa langue ou sa religion, ne soit abandonné à la faim ou à l’ignorance, laissé à l’écart du festin. Cet enfant porte en lui l’avenir de notre race humaine. À lui la royauté, comme l’a écrit il y a très longtemps le Grec Héraclite.

J.M.G. Le Clézio , Bretagne, 4 novembre 2008